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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/261

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lui seul, tout le tribunal ; il ne délibère qu’avec lui-même et prononce ex informata conscientia, sans procès, sans conseils, et, si bon lui semble, dans son cabinet, portes closes, en secret, d’après des renseignemens dont il contrôle seul la valeur, et avec des motifs dont il évalue seul le poids. Tantôt le magistrat qui siège est un de ses grands-vicaires, son délégué révocable, son homme de confiance, son porte-voix, bref, un autre lui-même, et cet official opère sans s’astreindre aux anciennes règles, aux obligations d’une procédure fixe et définie par avance, à l’échelonnement des formes judiciaires, aux confrontations et vérifications, aux délais, à toutes les précautions légales qui mettent le juge en garde contre la prévention, la précipitation, l’erreur, l’ignorance, et sans lesquelles la justice court toujours risque d’être injuste. Dans les deux cas, la tête sur laquelle la sentence est suspendue manque de garanties, et, une fois prononcée, cette sentence est définitive. Car, en appel, devant l’official métropolitain, elle est toujours confirmée[1] ; les prélats se soutiennent entre eux, et, pour l’appelant, qu’il ait tort ou raison, l’appel est par lui-même une mauvaise note : il ne s’est pas soumis à l’instant, il a regimbé contre la correction, il a manqué d’humilité, il a donné un exemple d’indiscipline, et cela seul est une faute grave. — Reste le recours à Rome ; mais Rome est bien loin[2], et, tout en maintenant sa juridiction supérieure, elle ne casse pas volontiers une sentence épiscopale, elle a des égards pour les prélats, elle ménage en eux ses lieutenans-généraux, ses collecteurs du denier de saint Pierre. — Quant aux tribunaux laïques, ils se sont déclarés incompétens[3], et le nouveau droit canon enseigne que jamais, « sous prétexte d’abus, un clerc ne doit faire appel au magistrat séculier[4] ; » par cet appel, « il

  1. Émile Ollivier, l’Église et l’État au concile du Vatican, II, p. 517.— L’abbé André, ibid., p. 17, 19, 30, 280. (Divers exemples, notamment appel d’un curé rural, 8 février 1866) : « Le métropolitain lui fit observer d’abord qu’il ne pouvait se résoudre à condamner son suffragant. » Ensuite (20 février 1866), jugement confirmatif par l’officialité métropolitaine, déclarant « qu’il n’y a nullement lieu de déclarer exagérée et réformable la peine de privation du titre de recteur de la paroisse de X… titre purement manuel et révocable au simple gré de l’évêque. »
  2. Émile Ollivier, ibid., II, 516, 517.— L’abbé André, ibid., p. 242 : « Pendant la première moitié du XIXe siècle, aucun appel n’a pu aller de l’Église de France à Rome. »
  3. Étoile Ollivier, ibid., I, p. 280. — L’abbé André, ibid., p. 242 : « De 1803 à 1854, trente-huit appels comme d’abus (ont été présentés) au conseil d’État par des prêtres frappés… Pas un de ces trente-huit appels n’a été accueilli, »
  4. Prœlectiones juris canonici habitœ in seminario Sancli Sulpicii, III, p. 146.