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légale, il faut encore dans le chef l’autorité morale ; sinon, il ne sera pas suivi fidèlement et jusqu’au bout. En 1789, l’évêque ne l’a pas été ; deux fois, et aux deux momens critiques, le clergé du second ordre a fait bande à part, d’abord aux élections, en choisissant pour députés, non des prélats, mais des curés, ensuite dans l’assemblée nationale, en quittant les prélats pour se réunir au tiers. Entre le chef et sa troupe, le lien intime s’était relâché ou rompu. Il n’avait plus assez d’ascendant sur elle ; elle n’avait plus assez de confiance en lui. Ses subordonnés avaient fini par voir en lui ce qu’il était, un privilégié, issu d’une race distincte et fourni par une classe à part, évêque par droit de naissance, sans apprentissage prolongé, sans services rendus, sans mérite prouvé, presque un intrus dans son clergé, parasite de l’église, accoutumé à manger hors de son diocèse les revenus de son diocèse, oisif et fastueux, parfois galant sans vergogne, ou chasseur avec scandale, volontiers philosophe et libre penseur, à qui deux titres manquaient pour conduire des prêtres chrétiens, d’abord la tenue ecclésiastique, ensuite et très souvent la foi chrétienne[1].

Toutes ces lacunes et disparates dans le caractère épiscopal, toutes ces différences et distances entre les origines, les intérêts, les mœurs, les manières du bas clergé et du haut clergé, toutes ces inégalités et irrégularités qui aliénaient les inférieurs au supérieur, ont disparu ; le régime moderne a détruit le mur de séparation que l’ancien régime avait mis entre l’évêque et ses clercs. Aujourd’hui, il est, comme eux, un plébéien, d’extraction commune et parfois très basse, celui-ci fils d’un cordonnier de village, celui-là enfant naturel d’une pauvre ouvrière, l’un et l’autre hommes de cœur et qui ne rougissent pas de leur humble origine, publiquement tendres et respectueux envers leurs mères, tel logeant la sienne, jadis servante, dans son palais épiscopal, et lui donnant la première place à sa table parmi les convives les plus qualifiés et les plus

  1. L’Ancien Régime, p. 84, 156, 196, 382. — Mémoires inédits de Mme de… (il ne m’est pas permis de nommer l’auteur). On y trouvera le type en haut relief d’un de ces prélats peu d’années avant la Révolution. Il était archevêque de Narbonne et avait 800,000 livres de rente sur les biens du clergé ; tous les deux ans, il allait passer quinze jours à Narbonne ; puis, pendant six semaines, à Montpellier, il présidait avec habileté et correction les États de la province. Mais, pendant les vingt-deux autres mois, il ne regardait plus aucune affaire des États ni de son diocèse, et il vivait à Haute-Fontaine avec sa nièce, Mme de Rothe, dont il était l’amant ; Mme de Dillon, sa petite-nièce, et le prince de Guéménée, amant de Mme de Dillon, habitaient le même château. Les bienséances de tenue étaient fort grandes, mais les paroles y étaient plus que libres, tellement que la marquise d’Osmond, en visite, « était embarrassée jusqu’à en pleurer… Le dimanche, par respect pour le caractère du maître de la maison, on allait à la messe ; mais personne n’y portait de livre de prière ; c’étaient toujours des volumes d’ouvrages légers et souvent scandaleux, qu’on laissait traîner dans la tribune du château, à l’inspection des frotteurs, libres de s’en édifier. »