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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/277

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Dans ce breuvage, deux liqueurs différentes sont mêlées et se fortifient l’une par l’autre, toutes les deux d’une saveur excessive et d’une crudité si âpre qu’une bouche ordinaire en serait brûlée. — D’une part, avec les familiarités de langage et les audaces de déduction qui conviennent à la méthode, on exalte dans le prêtre le sentiment de sa dignité : « Qu’est-ce que le prêtre ? — « C’est, entre Dieu qui est dans le ciel et l’homme qui le cherche sur la terre, un être, Dieu et homme, qui les rapproche en les résumant[1]… Je ne vous flatte pas par de pieuses hyberboles, en vous appelant des dieux ; — ceci n’est pas un mensonge de rhétorique… Vous êtes créateurs comme Marie dans sa coopération à l’incarnation… Vous êtes créateurs comme Dieu dans le temps… Vous êtes créateurs comme Dieu dans l’éternité. Notre création à nous, notre création quotidienne n’est rien moins que le Verbe fait chair lui-même… Dieu peut susciter d’autres univers, il ne peut faire qu’il y ait sous le soleil une action plus grande que votre sacrifice ; car, en ce moment, il remet entre vos mains tout ce qu’il a et tout ce qu’il est… Je ne suis pas un peu au-dessous des chérubins et des séraphins dans le gouvernement du monde, je suis bien au-dessus ; car ils ne sont que les serviteurs de Dieu, et nous sommes ses coadjuteurs… Les anges, qui voient la quantité de richesses passant chaque jour par nos mains, sont effrayés de notre prérogative… Je remplis trois fonctions sublimes par rapport au dieu de nos autels : je le fais descendre, je l’administre, je veille à sa garde… Jésus habite sous votre clé ; ses heures d’audiences sont ouvertes et closes par vous ; il ne se remue pas sans votre permission, il ne bénit pas sans votre concours, il ne donne que par vos mains, et sa dépendance lui est si chère, que, depuis dix-huit cents ans, il n’a pas échappé un seul instant à l’église pour se perdre dans la gloire de son Père. » — Et d’autre part, on leur fait boire à pleines gorgées le sentiment de la subordination, on les en imbibe jusqu’aux moelles[2]. « L’obéissance ecclésiastique est… un amour de la dépendance, un brisement du jugement… Voulez-vous savoir ce qu’elle est quant à l’étendue du sacrifice ? Une mort volontaire, le sépulcre de la volonté, dit saint Climaque… Il y a une sorte de présence réelle infuse dans ceux qui nous commandent… » Prenons garde de tomber « dans l’opposition sournoise du catholicisme libéral… Dans ses conséquences, le libéralisme est l’athéisme social… Il ne suffit pas de l’unité dans la foi romaine ; coopérons à l’unité dans l’esprit

  1. Manrèse du prêtre, I, 27, 29, 30, 31, 35, 91, 92, 244, 246, 247, 268.
  2. Ibid., I, 279, 281, 319, 301, 307, 308.