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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/36

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chefs spirituels le sont aussi, et ne peuvent pas ne pas l’être. Chaque prélat, parqué dans son diocèse, y est maintenu dans l’isolement ; sa correspondance est surveillée ; il ne communique avec le pape que par l’entremise du ministre des cultes ; il n’a pas le droit de se concerter avec ses collègues. Plus d’assemblées générales du clergé, de conciles métropolitains, de synodes annuels ; l’église de France a cessé d’être un corps, et ses membres, soigneusement détachés les uns des autres et de leur tête romaine, ne sont plus unis, mais juxtaposés. Confiné dans sa circonscription comme le préfet dans la sienne, l’évêque n’est lui-même qu’un préfet ecclésiastique, un peu moins précaire que l’autre : sans doute, on ne peut pas le destituer par arrêté ; mais on lui commande de se démettre, et il donne sa démission, de force. Aussi, pour lui comme pour le préfet, le premier soin sera de ne pas déplaire, et le second sera de plaire. Être bien en cour auprès du ministre et auprès du souverain, cela lui est commandé, non-seulement par son intérêt personnel, mais encore par l’intérêt catholique. Pour obtenir des bourses et demi-bourses aux élèves de son séminaire[1], pour y faire nommer les professeurs et le directeur qui lui conviennent, pour faire agréer ses chanoines, ses curés de canton et ses ordinands, pour exempter les sous-diacres de la conscription, pour instituer et défrayer les succursales de son diocèse, pour rendre à ses paroisses pauvres le prêtre indispensable, le culte et les sacremens, il a besoin de grâces, et ces grâces, il ne les obtient qu’à condition d’affecter l’obéissance, le zèle, mieux encore le dévoûment. Au reste, lui-même il est homme ; si Napoléon l’a choisi, c’est à bon escient, et le sachant tel, accessible aux motifs humains, point trop rigide, de conscience maniable ; aux yeux du maître, le premier titre a toujours été « la docilité présumée du caractère, l’attachement à son système et à sa personne[2] ; » de plus, il a tenu compte aux candidats des prises qu’ils lui donnaient sur eux, faiblesses, vanités et besoins, habitudes de représentation et de dépense, goût pour l’argent, les titres et les préséances, ambition, désir d’avancer, d’avoir du crédit, de placer des protégés et des parens. Toutes ces prises, il en use, et les trouve efficaces. Sauf trois ou quatre saints comme M. d’Aviau[3] ou M. Dessolles,

  1. Décret du 30 sept. 1804 (avec la répartition des 800 bourses et des 1,600 demi-bourses par séminaire diocésain). Ces bourses et demi-bourses seront accordées par nous sur la présentation des évêques. »
  2. D’Haussonville, II, p. 227.
  3. Id., IV, p. 366. Ordre d’arrêter M. d’Aviau, archevêque de Bordeaux, comme l’un des opposans du concile (11 juillet 1811). A cet ordre, Savary lui-même, ministre de la justice, fait des objections : « Sire, il ne faut pas toucher à M. d’Aviau : c’est un saint ; nous aurions tout le monde contre nous. »