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visiter ce monument si respectable, on me fit d’abord franchir un étroit corridor, et bientôt je pénétrais dans une cour d’aspect bizarre : au milieu s’élève un dôme supporté par les chapiteaux de quatre colonnes rectangulaires, dont les cavités intérieures livraient passage au gaz inflammable. On avait ainsi quatre flambeaux naturels. Sur l’une des quatre faces est fixé un trident en fer ; les autres sont couvertes d’inscriptions hindoues. Enfin, les quatre colonnes sont réunies par des arches. Quatre marches permettent l’accès du sanctuaire, au milieu duquel est creusé un réceptacle de forme carrée. Tout autour de la cour se trouvent de petites chambres parfaitement semblables : un dôme, en guise de toit, au centre duquel est suspendue une cloche ; un mur transversal de deux pieds ; en-deçà du mur, un espace accessible au pèlerin ; au-delà, sur la droite, une sorte d’autel formé par trois marches en maçonnerie couvertes d’inscriptions ; et, en guise de candélabres, le feu naturel de la terre. L’ensemble de l’édifice porte très nettement le caractère de l’architecture hindoue ; on l’avait réparé lors du passage du tsar, qui vit célébrer l’ancien culte par des prêtres parsis, venus de l’Inde. Il est regrettable que les mages aient commencé, dès le siècle dernier, à introduire dans leur temple de ridicules gravures coloriées venues d’Europe et aussi religieusement honorées par les fidèles que les éternelles flammes de Zoroastre : si le dieu n’y perdait rien, le touriste ne peut s’empêcher d’être surpris et choqué.

Sourakhané n’a pas seulement perdu sa célébrité vingt fois séculaire auprès des guèbres ; sa prospérité industrielle est elle-même en train de décroître, battue en brèche par celle de Balakhané, et la raffinerie de Kokerof reste la dernière usine du pays dont elle fut aussi la première. Le village persan de Bulbulé et quelques étangs naturels de naphte séparent seuls les deux plaines rivales, et nous arrivons bientôt au centre le plus important de la production pétrolifère du Caucase.

La fécondité de Balakhané est unique au monde ; depuis 1833, la production annuelle s’est élevée de 10,000 tonnes à 2,700,000, en suivant toujours une progression croissante, tandis qu’en Pensylvanie elle demeure stationnaire ; d’ailleurs, toutes les sources de l’Union sont exploitées sur une étendue de 1 million de kilomètres carrés. Au Caucase, au contraire, la péninsule d’Apchéron comprend à peine 2,000 kilomètres carrés[1] et donne presque la

  1. « La péninsule d’Apchéron, dit M. Ludwig Nobel, mesure en superficie près de 2,000 kilomètres carrés, dont 400 seulement sont en exploitation. De 1832 à 1880, cette partie relativement restreinte a donné 240 millions de pouds de naphte (3 millions 850,000 tonnes), quantité qui, uniformément répartie sur le plateau exploité, représenterait une couche de 0m,45 d’épaisseur. Il s’ensuit que ce qui nous parait énorme n’est rien en comparaison des richesses accumulées dans les terrains pétrolifères de Bakou.