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les exploitent ; les principaux sont MM. Nobel frères et la maison Rothschild. Dans le voisinage des puits les plus abondans, le terrain vaut jusqu’à 50 ou même 80 francs la sagène carrée, soit de 11 à 17 francs le mètre ; en dehors des centres exploités, on peut acheter la sagène carrée pour 15 francs et même au-dessous.


III

Après que l’on a vu sur les plateaux désolés de la péninsule d’Apchéron le pétrole s’élancer dans les airs en jets bruyans, il reste à le suivre dans les usines où l’industrie s’en empare, le travaille et le prépare pour l’exportation. Nous avons à pénétrer dans Tchernagorod, c’est-à-dire dans l’affreux quartier de Bakou, réservé aux usines des raffineurs. Là, tout est noir : les murs, la terre, l’atmosphère, le ciel ; on sent le pétrole, on en respire les vapeurs, l’odeur acre du liquide vous saisit à la gorge : où sont les arbres de la Mingrélie, la verdure du Karabagh, le joyeux horizon de Tiflis ? Le voyageur ne songe même pas à se le demander. Il est dans le royaume du pétrole ; le précieux produit de l’Apchéron absorbe tous les soins ; on marche entre les nuages de fumée qui obscurcissent l’atmosphère et les flaques de boue huileuse qui détrempent le sol : dans la ville noire, tout est noir. Et pourtant, c’est là qu’il faut chercher la richesse de la Transcaucasie ; c’est Tchernagorod qui fait vivre Bakou avec les 200 raffineries qu’on y a fondées depuis moins de trente ans ; et, sans le pétrole, jamais on n’eût construit le chemin de fer de Batoum. Nous étudierons donc tout spécialement cet intéressant quartier ; nous essaierons de faire connaître les divers produits de la distillation, avec leurs principaux emplois, et si nous ne reculons pas devant l’aridité des renseignemens de statistique ou de chimie organique, c’est que nous sommes convaincus de l’importance et aussi de l’intérêt d’une pareille étude. Peut-on regarder comme insignifians les détails d’une industrie dont la production a été presque centuplée depuis vingt ans ? En 1870, la production annuelle de l’huile raffinée atteignait à peine 15,000 tonnes : elle dépasse aujourd’hui 1 million de tonnes.

Le naphte brut descend de Balakhané-Sabountchi par des tuyaux métalliques ; au besoin, l’on pourrait pomper le liquide comme dans les pipe lines américains ; mais l’inclinaison du terrain rend cette opération inutile. Pour la plaine de Baïlof, on a établi un autre centre de raffineries aussi près des terrains pétrolifères qu’on l’a pu sans danger. A son arrivée dans la ville noire, l’huile est dirigée