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pleine possession de son rôle, sur le théâtre que son ambition rêve depuis longtemps et que la révolution lui fournit.

Il a frappé jusque-là à toutes les portes. Il a offert ses services au gouvernement anglais, au roi de Prusse, aux ministres du roi de France. Il a employé tour à tour les caresses, l’intimidation, la menace. Il a écrit pour les ministres qui lui donnaient de l’argent contre ceux qui lui en refusaient. Rien ne lui a réussi, il reste déclassé, besogneux, réduit pour vivre aux expédiens, hors d’état de déployer les rares qualités qu’il tenait de la nature et du travail. Le nouvel ordre de choses, que tout le monde prévoit dans les années qui précèdent 1789, va-t-il enfin lui offrir l’occasion depuis si longtemps cherchée ? Tout l’effort de sa pensée est tendu vers cette espérance. Il ne le dissimule pas, il en parle volontiers à ses amis, il attend de la révolution qui va venir l’emploi de ses talens. Il croit même l’avoir trouvé tout de suite au moment de la convocation de l’assemblée des notables, il demande sans succès à être nommé secrétaire de cette assemblée. Reste maintenant une chance unique qu’il ne faut pas laisser échapper : la convocation des états-généraux. Mirabeau met en jeu, pour être élu, toutes les ressources de son intelligence.

D’abord, et avant tout, il est pour lui d’un intérêt capital que la convocation ne soit pas retardée. Le temps presse ; il touche à la quarantaine, il est las de l’existence précaire à laquelle il est condamné, las de la modicité et de l’origine équivoque de ses ressources. Ses habitudes de désordre et l’étendue de ses besoins l’ont réduit au triste rôle d’écrivain à gages. Avec un fond de fierté et de sincérité natives, il écrit le moins qu’il peut contre sa conscience. Il y a des heures, cependant, où la nécessité l’oblige à soutenir des opinions qui ne sont pas absolument les siennes. Il en souffre, il ne le fait qu’à contre-cœur. Cet état de choses cessera, du moins il l’espère, s’il est élu député. Aussi, parmi tant de milliers de Français qui demandent à grands cris la prompte convocation des états-généraux, personne ne la souhaite et ne la sollicite avec plus d’ardeur que Mirabeau. Quoiqu’il ait une opinion personnelle sur le meilleur mode de convocation, il en fait volontiers bon marché pour ne pas retarder d’une heure ce grand événement. En cela, du reste, il est d’accord avec la grande majorité du pays. Son intérêt se confond avec l’intérêt public. Ne diminuons pas la portée de son langage en l’attribuant uniquement à des mobiles d’ordre privé. Il ne dit rien dont il ne soit profondément pénétré lorsqu’il fait appel aux sentimens du roi, lorsqu’il démontre aux ministres qu’on ne pourra rassurer les esprits et rétablir le crédit public qu’avec le concours des représentans de la nation.