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paquet d’après sa pesanteur. Sur la peau, deux points peuvent être distingués, au moyen du compas de Weber, à une distance moindre que la normale. L’oreille peut entendre le tic-tac d’une montre dans une chambre voisine. M. Bergson a raconté, dans la Revue philosophique, l’histoire de cet hypnotisé qui paraissait lire à travers le dos un livre ouvert devant l’hypnotiseur, et qui lisait réellement la page reflétée sur la cornée de ce dernier. On prétend que des sujets ont lu des choses reflétées par des corps non polis. Persuadez à un sujet qu’il y a une photographie sur une carte blanche, il retrouvera la carte dans le paquet, entre cent autres, quoique vous n’y aperceviez aucune différence. Il faut donc qu’il ait des points de repère d’une délicatesse inconcevable. Cette exaltation des sens provient, en partie, de ce que l’activité nerveuse et mentale est concentrée dans des directions exclusives, où elle acquiert plus de force, comme une eau endiguée et tout entière accumulée en une seule direction.

On a émis cette hypothèse que la pensée de l’hypnotiseur se transmet à l’ouïe de l’hypnotisé par l’intermédiaire de la parole. Nous ne pensons point, en effet, sans prononcer mentalement des paroles, et nous ne les prononçons pas mentalement sans les prononcer aussi physiquement avec le larynx ; penser, c’est parler tout bas. Les idées sont tellement inséparables du mouvement, qu’elles se traduisent toujours, dans notre larynx, par des bruits musculaires très faibles qu’une oreille plus fine pourrait entendre. L’hypnotisé peut avoir l’acuité de l’ouïe nécessaire pour entendre un ordre qui lui est donné par la parole intérieure. M. Ch. Féré et M. Ruault ont même pensé que l’hypnotisé peut, comme le sourd-muet, lire les mots sur les lèvres. Lorsque l’expérimentateur veut suggérer mentalement à son somnambule de lever la jambe, il dit en lui-même : « Levez la jambe. Je veux que vous leviez la jambe, » et plus il veut donner cet ordre, plus il tend à articuler des mots. On conçoit donc que le sujet puisse, comme le sourd-muet, mais avec beaucoup plus de délicatesse, discerner ces mots presque articulés, par l’observation des mouvemens extérieurs que détermine chez l’hypnotiseur le jeu très atténué des organes de la parole[1].

Quoi qu’il en soit, le moyen de transmission, pour la pensée, doit être un mode d’énergie vibratoire transmise par un milieu : c’est là le seul procédé par lequel des changemens, dans une portion de matière, se reproduisent eux-mêmes en une autre portion de matière éloignée. De plus, il s’agit ici d’une reproduction par un

  1. Revue philosophique, ibid., p. 685.