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commandement de leur chef, après avoir une première fois tiré en l’air, abaissaient leurs fusils et faisaient feu ! On sait le reste, comme a dit le préfet du Nord. Il y avait huit ou neuf morts et un assez grand nombre de blessés. C’est toute cette douloureuse histoire ! Qu’il y ait eu des innocens parmi les victimes, ou que quelques-uns de ceux qui sont tombés dans la sanglante mêlée ne fussent pas les plus coupables, c’est trop vraisemblable ; mais c’est là justement la fatalité, la cruelle moralité des événemens de ce genre !

Voilà des populations ordinairement paisibles, de mœurs laborieuses, tout au plus préoccupées de discuter leurs intérêts, leurs salaires, les conditions de leur travail avec leurs patrons. Elles ont leurs impatiences, leurs droits, leurs griefs, leurs syndicats, leurs grèves ; elles restent dans leurs sphères industrielles. Surviennent des meneurs obscurs, sortis on ne sait d’où, le plus souvent étrangers, instigateurs d’agitation et d’anarchie, qui se mêlent à elles et leur soufflent la haine. Pendant des mois, les propagandes révolutionnaires s’infiltrent dans leurs réunions, dans leurs délibérations, exploitant leur misère et irritant leurs passions. Il ne s’agit plus du travail, des améliorations réalisables qu’on peut poursuivre sans trouble ; il s’agit de préparer la révolution, d’organiser des manifestations plus ou moins pacifiques pour imposer la volonté du peuple ! On met même un art diabolique à persuader de malheureux manifestans jetés en avant, à leur faire croire qu’ils peuvent marcher, que les soldats ne tireront pas sur eux ou tireront à blanc. On se sert des ouvriers comme tous les révolutionnaires se servent du peuple, suivant l’éternelle tactique que Ledru-Rollin dévoilait naïvement un jour, en 1860, devant la cour de Bourges, à l’occasion de la « manifestation » du 15 mai 1848 : « Croyez-vous donc que les révolutions se fassent en disant le mot de ce qu’on veut faire ? » Puis la catastrophe éclate ! Qui faut-il accuser, si ce n’est les agitateurs qui poussent les autres au combat et ont soin de se dérober eux-mêmes ? Ce sont là sans doute les vrais coupables. En dehors d’eux, on ne voit d’un côté que des victimes, et de l’autre des hommes, chefs ou soldats, qui ont fait leur devoir en se défendant serrés autour du drapeau, en maintenant l’inviolabilité de l’ordre et de la loi. Nous nous trompons : on peut voir aussi, au feu de cette collision soudaine, l’honnête et courageux curé de Fourmies se jetant entre les combattans, relevant les morts et les blessés, prononçant les dernières paroles de pitié et de prière !

Oui, assurément, rien n’est plus triste. C’est toujours une chose grave que ces conflits où le sang coule. Il y aurait pourtant une manière d’aggraver encore cette malheureuse affaire de Fourmies : ce serait de la dénaturer par des commentaires de parti, de prolonger l’émotion, d’abuser l’opinion en parlant sans cesse de la « tache de sang, » de « la place du massacre, » — de déplacer les rôles et les