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plus mauvais débris de la science romaine, il a imposé son latin, un dialecte monacal et populacier. Luther nous a rendu quelque chose de l’ancienne pureté. Mais bientôt l’humanisme a de nouveau tout inondé et submergé. L’esprit allemand, la langue allemande, sont opprimés par le latin. La pauvre jeunesse est mise à l’école de Rome dans les années de fraîcheur et de production. Si les victimes de l’éducation latine pouvaient parler, que de génies interceptés! »

Quelques disciples de Herder devaient aller encore plus loin. « Le latin, dit Passow, n’est guère qu’une ombre de la langue grecque ; quant aux langues néo-latines, ce n’est que décomposition et pourriture. » Passow écrivait en 1810... Ainsi les préoccupations du jour s’introduisent dans les régions en apparence les plus désintéressées.

Au nombre des premiers élèves de Herder se placent Frédéric-Auguste Wolf et Guillaume de Humboldt.

Frédéric-Auguste Wolf, l’auteur des Prolégomènes d’Homère, possédait à un haut degré l’art des grandes constructions systématiques; il fut le théoricien du nouvel humanisme. Il lui donna d’abord un nom : il l’appela « la science de l’antiquité » (Alterthumswissenschaft). Jusque-là, dans les universités, les études latines et grecques n’étaient pas regardées comme une branche à part : on y voyait un moyen de culture pour l’esprit et un acheminement vers la carrière du droit ou de la théologie. Wolf, qui, comme étudiant, s’était fait inscrire sous la dénomination jusque-là inconnue « d’élève en philologie, » fit des études classiques une discipline spéciale. Les jeunes gens qui sortirent de son séminaire de Halle et qui, en se répandant dans les gymnases et dans les universités, y apportèrent son esprit, se présentèrent en qualité de philologues, et non, comme c’était l’usage jusque-là, de théologiens momentanément éloignés de leur ministère pour donner l’instruction à la jeunesse. Une sourde opposition contre la religion officielle se laisse entrevoir chez quelques-uns, quoique le ton, même chez les moins orthodoxes, soit toujours, jusqu’à un certain point, celui de la prédication. Wolf lui-même savait parfaitement que les idées émises par lui au sujet de la composition des poèmes d’Homère ne tarderaient pas à être appliquées aux textes bibliques ; mais, fonctionnaire habile autant que savant hardi, il s’était gardé d’en rien dire.

Guillaume de Humboldt, cette intelligence profonde et abstraite, qui joignait le goût minutieux du détail à l’amour des idées générales, se chargea de transporter l’esprit nouveau dans les sphères officielles et jusque dans les régions les plus élevées du pouvoir. Il faisait profession de vivre en dehors et au-dessus de son temps. Quelques vers d’Homère, fussent-ils empruntés au catalogue des