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viennent les figures de ces divinités, pourvu qu’elles ne puissent que leur porter bonheur. Un missionnaire ayant un jour parlé à un indigène de la charité du Christ, l’indigène lui demanda de lui procurer l’image de ce bon génie, pour qu’il put la placer à côté de ses dieux domestiques. Dans sa superstition, autant l’insulaire appelle sur ses intérêts et sur lui-même la protection des forces bienfaisantes de la nature, autant il s’applique à éloigner les forces malfaisantes auxquelles il attribue, dans son esprit, des formes de démons.

Les Balinais qui se rattachent par quelques pratiques à l’ancienne religion de l’île, les orfèvres et forgerons et les hindouistes ont tous des temples, mais ces derniers seuls ont des prêtres. Les temples des premiers et des seconds sont donc plutôt des lieux destinés aux offrandes et à des pratiques de dévotion individuelle. Nous ne visitons qu’un de ceux-là, un temple des orfèvres et forgerons. L’air y est embaumé par des offrandes toutes fraîches de fleurs blanches du plus suave arôme, et de nombreux petits porcs noirs, abandonnés aux génies bienfaisans, circulent en toute liberté dans l’enceinte sacrée. Quant à l’hindouisme, il compte trois temples par village : un temple du village ; un temple de cimetière ou de Dourga, femme de Siva, transformée en monstre et considérée comme déesse de la mort; un temple au bord de la mer, dans les villages de la côte, au bord d’un cours d’eau quelconque, dans les villages de l’intérieur, — la mer et ce cours d’eau évoquant le souvenir du Gange purificateur.

Si la religion trinitaire hindoue est fort dégénérée à Bali, elle s’y révèle toujours par les trois couleurs brahmaniques : rouge, Brahma; blanc, Vichnou; bleu foncé ou noir, Siva; et elle y persiste dans les cérémonies des temples, bien qu’un seul nom revienne encore dans les prières récitées par les prêtres : celui de Siva. Il est à remarquer que Siva, qui a le rôle de destructeur dans la trinité brahmanique, a assumé ensuite un rôle religieux très différent. On trouvera l’harmonieuse ornementation de ses formes principales dans l’invocation qui ouvre le drame de Sakoûntala. Il existe à Batavia un groupe où Brahma et Vichnou sont à la droite et à la gauche de Siva, présenté comme le dieu principal de la trinité aryenne. En définitive, Siva nous apparaît comme une incarnation symbolique du Temps ; de là son côté destructeur, manifesté dans sa femme Dourga et dans quelques-uns de ses attributs, mais aussi son côté régénérateur attesté par le fait qu’il est pour les Balinais une divinité bienfaisante. — Dans les cérémonies des temples, les hindouistes de Bali apportent en offrande du riz, des fleurs blanches, des poules, etc.; les prêtres récitent des prières en agitant une clochette de la main gauche et en