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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/668

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rendues, les familiarités de Chardin nous ravissent, parce qu’elles sont exprimées d’un pinceau savant et naturel.

Dans presque toutes ces scènes, lugubres ou intimes, le jeu expressif de la lumière est mis en œuvre d’une façon intéressante, sans charlatanisme et sans parti-pris. Bon nombre de peintres, aux Champs-Elysées, ont déjà compris combien l’usage constant des lueurs frisantes, si fort à la mode en ces derniers temps, ou la suppression absolue des ombres, deviendraient vite monotones et insupportables, quelle maladresse il y aurait aussi à se refuser systématiquement la liberté d’user ou non, et plus ou moins, du jour et de la nuit. Les uns nous communiquent une impression par le contraste des clartés et des ombres comme MM. Chevallier-Taylor, Marec, Geoffroy, Le Mains, Jameson, Munkacsy, Bordes, Constantin Le Roux, Enders, Felbinger, Roeseler, les autres nous la transmettent par les seules nuances de la lumière, comme MM. Dessar, Le Sidaner, W. Gay, Laurent-Desrousseaux, Dantan, Breauté, Léandre, Edouard Durand, Fox, etc., et vraiment ils ont tous raison, puisque tous réussissent en des mesures diverses. Le début de M. Chevallier-Taylor, dont le livret ne nous révèle ni la patrie, ni les maîtres, est un début remarquable. On a rarement exprimé avec plus de simplicité et de force à la fois les douleurs humaines qu’il ne l’a fait dans sa Dernière communion. Dans une chambre étroite et modeste, que blanchit, par places, à travers les rideaux, la lueur fraîche du matin, sous laquelle s’éteint la rougeur de la veilleuse épuisée, un jeune garçon agonise. Au pied de son lit, debout, en soutane noire, un jeune prêtre élève devant ses yeux un crucifix, tandis qu’à son chevet la mère fond en larmes et que le père, un marin rude et hâlé, tombe sur ses genoux, les yeux fixes et désespérés. Toutes ces figures sont traitées avec un naturel parfait et groupées, sans effort, dans leur milieu harmonique, avec une habileté déjà grande. Les notes noires et sombres, toutes à leur place, n’y dominent pas au point d’y prendre une apparence de repoussoir factice et d’y créer autour des personnages une atmosphère opaque et à peine respirable, comme il arrive chez les peintres conseillés de trop près par Bibera et M. Ribot. M. Geoffroy, qui connaît si bien les misérables, petits et grands, et qui sait dépeindre leurs tristesses avec une gravité si compatissante, ne nous semble pas à l’abri de ce reproche dans son Asile de nuit. Il a réuni là, autour d’un poêle, un certain nombre de loqueteuses et de déclassées, ouvrières sans ouvrage, mères et enfans abandonnées, filles sans amans, dont les visages et les mains s’enlèvent, par plaques sans épaisseur, sur un fond presque entièrement opaque. Ce système supprime, il est vrai, les difficultés de la perspective aérienne, mais il supprime en même temps la