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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/692

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— ce pauvre Émile Hennequin, l’auteur de la Critique scientifique : « à la base de toutes les formes et de toutes les doctrines d’art, il y a des faits psychologiques généraux. » N’est-ce pas exactement ce que veut dire M. Marcel Prévost, quand il dit à son tour « que le romanesque est une catégorie de la conscience et de l’esprit humains ? » Et, pas un collégien ne l’ignore aujourd’hui, s’il y a quelque chose de certain et de prouvé, c’est cela. Un grand peintre ou un grand romancier, un grand poète ou un grand musicien peuvent être et sont habituellement quelque chose de plus ; mais ce qu’ils sont avant tout, ce sont des exécutans ; ou, si l’on veut encore, ce sont les traducteurs pittoresques ou musicaux des sensations, du rêve, de l’idéal sonore ou coloré de ceux qui les admirent. Ils expriment pour nous ce que nous pensons comme eux. Ni les uns ni les autres ils n’auraient d’admirateurs, s’ils n’avaient pas de semblables. Et parce qu’ils en ont en tout temps, c’est ce qui donne aux grandes œuvres de la littérature ou de l’art leur caractère d’éternité…

Là est l’un des premiers principes des classifications, et par conséquent des jugemens de la critique. Là aussi est la raison d’être des écoles, et pour laquelle il y en aura toujours.

Aussi remarquera-t-on qu’il y en a plus aujourd’hui que jamais. C’est vainement qu’on se débat et qu’on essaie de se distinguer : les procédés sont les mêmes partout. Rien ne ressemble plus à un roman naturaliste qu’un autre roman naturaliste : la Gamelle, par exemple, de M. Jean Reibrach, à l’Argent ou au Germinal de M. Zola. Si l’on ne changeait pas de volume, on ne croirait pas avoir changé d’auteur en passant des Poèmes romanesques de M. de Régnier, aux Cygnes ou à l’Ancœus de M. Francis Vielé-Griffin. Et j’en appelle aux spectateurs ordinaires du Théâtre-Libre : l’Honneur de M. Henry Fèvre, ou l’École des veufs, de M. George Ancey, qu’y a-t-il de plus facile à définir par les mêmes traits, qui se ramène ou qui se réduise plus aisément à une même conception de l’art ou de la vie, pessimiste, courte, brutale, et surtout puérile ? Mais, comme en étant d’une école, on voudrait bien ne pas en être, on affecte de n’en être pas, et, en vérité, je crois qu’on finit par croire que l’on n’en est plus. On perd du même coup le bénéfice d’en être, et personne n’y gagne.

S’ils ne veulent plus d’étiquettes ni d’écoles, ni surtout de classifications, — car c’est là le grand point, — ils ne veulent pas aussi de « théories » ni de « principes ; » et c’est pour les mêmes raisons. L’art est indépendant, disent-ils, et surtout capricieux. Par où, s’ils entendent qu’on ne connaît point de recette pour faire des chefs-d’œuvre, ils ont sans doute raison, comme encore s’ils prétendent que le propre du véritable artiste est de ne jamais égaler ni réaliser son idée tout entière. Mais veulent-ils dire qu’il importe peu qu’on se propose, par