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Griselidis, à son tour, mystérieusement troublée, descend les degrés du château. Elle entend soupirer, s’approche et reconnaît l’ami d’autrefois, le compagnon de ses jeunes années, celui qui dérobait pour elle les fraises aux buissons ; aux arbres, les nids. Pourquoi, demande-t-elle, ingénue, pourquoi m’avoir quittée? et les yeux lentement levés du jeune homme lui répondent. Alors elle comprend et veut fuir; il la retient, plus tremblante toujours entre ses bras toujours plus étroitement noués. Elle se trouble, elle a peur : « Seigneur, s’écrie-t-elle, Seigneur, contre l’amour, ayez pitié de moi ! » Et voilà le seul ressort dramatique, la seule péripétie morale de l’œuvre. Mais elle suffit pour que le mystère s’anime et s’humanise, pour que la sainte devienne femme et sente battre son cœur sous les plis amollis de son étole blanche. Son enfant tout à l’heure la sauvera, Griselidis ne sera pas flétrie; mais un instant, comme ses frères les lis, elle se sera penchée. Le passage sur ses lèvres d’un souffle brûlant, la révélation à son âme immaculée des souillures entrevues, l’interdit, l’épouvante et c’en est fait pour elle de l’ignorance et de la paix. Son fils même, qui va la garder du péché, ne la gardera plus de la tristesse. Charmante est l’arrivée du petit Loys, tenant un oiseau blessé, qu’il apporte à sa mère, frêle créature, elle aussi blessée. Celle-ci alors, soucieuse d’épargner à son enfant la vue seule de la souffrance, elle qui vient de souffrir, lui reprend le pauvre oiselet, et rien n’est plus attendrissant que ce tableau, dans lequel sont l’assemblées tant de grâces mélancoliques : l’innocence d’un enfant, la détresse d’une femme et l’agonie d’un passereau.

Que pourrions-nous ajouter? Subtiles et fuyantes sont les beautés d’une œuvre pareille. Elle a des grâces presque musicales, et de la musique des vers comme de l’autre, s’il est barbare de ne pas sentir le charme, il est difficile de l’expliquer. De ce joli rêve d’artiste et de poète nos yeux demeurent longtemps ravis, notre oreille caressée ; plus d’une strophe chante à notre mémoire : c’est tantôt l’amoureuse et triste ballade dont le refrain n’est fait que de ce nom mélodieux : Griselidis ! Griselidis ! ou le grand duo d’amour entre Griselidis et Alain, ou les adorables adieux du marquis à son petit enfant. Tout cela est beau, tout cela est pur; j’ajoute : tout cela est vrai, non pas selon les vues grossières du réalisme, mais selon les visions idéales de la vérité.

Et maintenant, plaise à M. Armand Silvestre de rester dans cette voie, qui fut la sienne d’abord, et qu’il a quittée depuis pour d’assez malpropres chemins. Souhaitons que le chroniqueur par trop gaulois du Gil Blas ou de l’Echo de Paris redevienne ainsi plus souvent le poète des Sonnets païens et des Ailes d’or. Ses ailes d’or! Vous savez où parfois il les laisse traîner. Étrange contradiction ! Griselidis et les Contes grassouillets! Choisir aujourd’hui Mlle Bartet pour interprète et pour héroïnes