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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/715

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direction. Il s’est réuni, il s’est hâté d’engager les ouvriers à cesser les chômages, à reprendre le travail; on peut croire que le mot d’ordre sera suivi par l’immense majorité des populations ouvrières qui ne demandent peut-être pas mieux, d’ailleurs, que de travailler. C’est fort bien ! c’est heureux pour la paix publique. Ce résultat a surtout cela de bienfaisant qu’il écarte ces complications extérieures, ces menaces d’intervention que les pessimistes se plaisaient déjà à entrevoir dans le cas où l’agitation belge se serait prolongée et aggravée. Il ne reste pas moins toujours un fait des plus sérieux : c’est qu’après tout les pouvoirs publics ont cédé une première fois à une pression organisée par des agitateurs qui ne cachent pas leur dessein de recourir aux mêmes moyens pour conquérir le suffrage universel. Ce sera une conquête si l’on veut, si la pression réussit jusqu’au bout; mais cette conquête pourrait créer plus d’un danger pour la liberté et l’indépendance de la Belgique.

A travers ce mouvement qui emporte les nations, qui affecte tous les caractères et prend toutes les formes, il est un petit pays qui, dans son éloignement, à l’extrémité de l’Europe, n’est point sans avoir lui-même ses agitations souvent assez obscures. Crise politique, crise des finances et du crédit, crise diplomatique, crises de pouvoir, rien n’est épargné à ce petit et intéressant Portugal, assailli depuis quelque temps de difficultés que les partis révolutionnaires se hâtent d’aggraver en les exploitant. Il a la fortune contraire, et ce qu’il fait de mieux ne lui réussit qu’à demi. Évidemment, une des premières causes, sinon la cause unique des embarras portugais, c’est ce triste conflit suscité par l’Angleterre au sujet du partage des territoires africains. Depuis le jour où le cabinet de Londres, s’attribuant la part du lion, a placé, il y a bientôt un an, le gouvernement de Lisbonne sous le coup d’un ultimatum impérieux, tout s’en est ressenti dans le petit royaume lusitanien. Le sentiment national s’est révolté contre une injuste humiliation, le gouvernement du roi dom Carlos s’est trouvé dans la cruelle alternative de céder à la force, de livrer les droits traditionnels du Portugal en Afrique, ou de se jeter avec une périlleuse témérité dans une lutte inégale. Le pouvoir est devenu difficile pour tous les ministères. Les républicains, peu nombreux, mais excités par le succès de la révolution du Brésil, ont saisi l’occasion de reprendre leurs propagandes, d’agiter le pays, et ils se sont bientôt enhardis jusqu’à tenter la dernière insurrection de Porto. Au demeurant, toutefois, on s’en est tiré à demi jusqu’ici. Les ministres du roi dom Carlos, en tenant tête aux mouvemens républicains, en sauvegardant l’ordre dans le royaume, ont mis tout leur zèle à reprendre des négociations avec l’Angleterre, à échapper à une exécution. Lord Salisbury lui-même a senti le danger de pousser à bout un petit pays justement fier, et de là est sorti, il y a quelques jours