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bien moins avancée encore. Si elle a quelque ressemblance avec la Roumanie, c’est par son premier ministre, M. Stamboulof, qui est le Bratiano de Sofia et qui jusqu’ici, avec la même âpreté du pouvoir, avec la même absence de scrupules, n’a réussi qu’à se créer une façon de dictature prolongée. Par le fait, la Bulgarie ne cesse de se débattre depuis quelques années dans d’obscures agitations sans pouvoir arriver à se fixer. Elle vit en dehors des traités, avec un prince qui n’est pas reconnu, avec un régime indéfinissable d’arbitraire tempéré par l’anarchie et une paix publique toujours menacée. Parfois, dans cette obscurité, éclatent comme des lueurs sinistres, des incidens tels que le récent assassinat du ministre des finances, M. Beltchef, en pleine rue de Sofia, aux côtés de M. Stamboulof. Naturellement ce meurtre, dont les auteurs jusqu’ici inconnus visaient sans doute le premier ministre bien plutôt que l’inoffensif M. Beltchef, cet attentat n’a fait qu’exciter le gouvernement à redoubler les rigueurs, à multiplier les arrestations et les répressions. Depuis quelques semaines, on vit à Sofia dans une espèce de terreur, comme si on s’attendait à des explosions révolutionnaires, à de nouvelles conspirations. On a mis la main sur des centaines de suspects, sur d’anciens ministres, même sur un agent diplomatique qu’on a fait venir tout exprès de Bucharest pour l’arrêter. M. Stamboulof est bien homme à grossir le danger pour justifier l’excès de ses répressions. Ce n’est pas moins, à ce qu’il semble, une situation peu rassurante, et il est bien clair que la Bulgarie reste plus que jamais dans les Balkans un de ces foyers où peut toujours s’allumer l’incendie; mais de ces petits états orientaux, celui qui offre pour le moment le spectacle le plus étrange, c’est peut-être la Serbie, et ici la politique devient en vérité presque un roman. Elle se complique des querelles conjugales du roi Milan et de la reine Nathalie, des embarras de la régence pour se délivrer de l’un et de l’autre, sans parler des scènes sanglantes qui viennent de tout aggraver à Belgrade.

Depuis que le roi Milan a eu la fantaisie de divorcer avec la reine Nathalie et de se donner de la liberté par une abdication en laissant la couronne à un enfant, au jeune roi Alexandre, la Serbie n’est pas délivrée de ces époux mal assortis, de ces personnages royaux ; bien au contraire, elle ne cesse d’être troublée par les querelles de l’étrange ménage royal. Le roi Milan a fait ses conditions en abdiquant, il n’a d’autre souci que d’évincer de ses droits ou de ses prétentions l’ancienne souveraine, l’épouse divorcée. La reine Nathalie, qui paraît une personne d’humeur peu commode, n’a visiblement d’autre préoccupation que de garder une influence sur son fils, le jeune roi Alexandre, et peut-être de ressaisir un rôle politique. Roi et reine se sont récemment retrouvés à Belgrade, presque face à face, et la guerre s’est plus