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SAINT FRANÇOIS D’ASSISE

Nous croyons être chrétiens. Ceux mêmes d’entre nous qui se sont détachés du dogme s’imaginent qu’ils vivent sous la domination de l’Evangile, puisque les idées morales et sociales que l’Évangile apportait au monde ont passé dans nos mœurs, nos institutions et jusque dans nos préjugés. On oublie de se demander si la sagesse mondaine n’a pas modifié profondément la doctrine primitive, et ce qu’il reste encore de cette « triomphante folie, » comme l’appelait Bossuet, depuis tant de siècles que de fort honnêtes gens travaillent à expliquer les textes d’une manière rassurante, adoucissant ici une idée trop sauvage, interprétant plus loin dans le sens de notre égoïsme et de nos passions un précepte décidément impraticable. On n’ignore pas tout à fait qu’il y a certaines choses qui ne se comprennent plus comme il y a dix-neuf siècles, et qu’il a fallu civiliser, pour ainsi dire, des paroles qui s’adressaient aux petites gens d’un pays à demi barbare ; mais peu de personnes se rendent compte du chemin parcouru, d’étapes en étapes, depuis le point de départ.

Il est bon, cependant, de rechercher de temps en temps où nous en sommes, ne serait-ce que pour ne pas se payer d’illusions ridicules. Rien n’y aide autant que de considérer les hommes qui se sont efforcés, à diverses époques et dans différens pays, de ramener le monde à l’Évangile vrai, à l’Évangile tout cru; nous pouvons juger, par l’impression qu’ils nous laissent, de ce qu’est devenue entre nos mains la loi à laquelle nous nous figurons être toujours soumis. De tous ces exaltés, il n’en est pas avec qui l’épreuve soit aussi décisive qu’avec saint François d’Assise, parce qu’aucun n’a été plus net de compromis humains. Il n’a rien