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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/797

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montagnes. Les paysans des environs, debout sur leur seuil, virent la ville aérienne resplendir de lumières et ils entendirent passer au-dessus de leur tête des chants d’allégresse. C’était les Assisiens qui consumaient la nuit en réjouissances. « Nous aurons ses reliques! » criait la foule en descendant vers la Portioncule pour contempler son trésor. Cependant, une inquiétude leur restait. Si Pérouse ou Foligno faisaient enlever le cadavre par leurs partisans? Il fallait se hâter de mettre en sûreté le cercueil destiné à accomplir des miracles et à « exaucer ceux que Dieu lui-même n’écoute pas. » Dès que l’aube blanchit l’horizon, les habitans transportèrent le mort à Assise, au milieu d’un océan mouvant de rameaux verts et avec un grand fracas de trompettes et de chants de triomphe. Les moines entouraient la bière, des torches à la main. Le clergé de la ville suivait. On déposa saint François dans la petite église de Saint-George, en attendant qu’on lui eût élevé un tombeau.

La translation à San-Francesco eut lieu environ quatre ans plus tard, en 1230. Elle fournit l’épilogue le plus inattendu à l’histoire du « saint de Dieu. » La procession qui accompagnait le corps fut attaquée dans la rue par des archers. Le cercueil disparut pendant le tumulte. On sut qu’il avait été porté précipitamment à San-Francesco et enseveli sans témoins, les portes fermées, dans un lieu secret, préparé à l’avance. On sut aussi qu’Elie de Cortone avait tout fait. Le reste n’a jamais été éclairci. L’objet que se proposait Élie est resté un mystère, et l’on ignora même l’endroit où reposait le corps. Des fouilles exécutées dans notre siècle (1818) ont mis au jour un squelette que l’on a supposé être celui du saint. D’après une poétique légende, il y a une troisième et vaste église sous l’église basse d’Assise, et saint François est là, non pas couché, non pas réduit en poussière, mais debout, vivant, les cinq plaies saignantes, les mains jointes et les yeux au ciel. Il a été vu une nuit par trois moines, devant qui la voûte de pierre s’est entr’ouverte, et, une autre nuit, par le pape Nicolas V, accompagné du cardinal Eustorgius, qui l’a raconté à son lit de mort.


Qu’il dorme ou qu’il veille, son œuvre s’est accomplie, non pas celle qu’il avait rêvée, mais une œuvre plus humaine, et encore bien belle. Il n’est presque pas une forme de la pensée du moyen âge italien qu’il n’ait renouvelée. Le Cantique des créatures a enfanté la poésie nationale. Jusqu’à saint François, de même qu’on prêchait le peuple en latin, de même on lui composait ses chansons en latin. Le maître fit le Cantique des créatures en vers italiens; les mineurs suivirent son exemple et écrivirent leurs poésies religieuses dans les dialectes de leurs provinces. Dante se laissa entraîner à