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colère du peuple, avait failli la faire massacrer dans une insurrection dont elle le considérait comme un des principaux auteurs. Mais le danger que courait la monarchie paraissait si redoutable et si prochain qu’on n’avait plus ni le droit ni le temps de se montrer difficile sur le choix des moyens. Puisque Mirabeau offrait ses services avec tant d’insistance, puisque des amis fidèles conseillaient de les accepter, pourquoi ne pas composer au profit de la royauté avec le plus puissant orateur de l’assemblée, avec le chef le plus écouté du parti populaire ? Si ce n’était qu’une question d’argent, il fallait savoir y mettre le prix et surmonter d’anciennes répugnances pour tenter au moins l’aventure.

Dès que cette résolution fut arrêtée dans l’esprit du roi et de la reine, on s’ouvrit à M. de La Marck en lui recommandant le plus grand secret, en insistant surtout pour que les ministres ne fussent pas informés. Au moment où Mirabeau reçut les premières ouvertures de la cour, il était plus que jamais traqué par ses créanciers, livré à de cruels embarras. Son association avec le ménage du libraire Le Jay, si peu honorable pour lui, avait fini par un désastre. Il avouait lui-même que la mort du libraire lui faisait perdre 113,000 livres. Était-ce la continuité de ses embarras ou le trouble d’une santé déjà atteinte qui agissait sur son humeur? Des symptômes de découragement commençaient à percer dans sa conduite. Il semblait par momens se détacher des travaux d’une assemblée où il avait joué un si grand rôle, il parlait moins souvent et moins longtemps. Sa puissance oratoire restait la même ; chaque fois qu’il prenait encore la parole, il le faisait avec une éclatante supériorité ; il paraissait seulement beaucoup moins tenté qu’autrefois de s’en servir.

Les ouvertures de la cour ranimèrent son courage; peu de jours auparavant, il songeait à quitter la France pour échapper à ses soucis ; il entrevoyait dans l’ambassade de Constantinople, en même temps qu’une occupation honorable, un moyen d’arranger ses affaires. Mais il retrouve son ancienne ardeur lorsqu’il apprend ce qu’on lui propose. La cour paiera immédiatement 208,000 francs de dettes d’après l’état, fort incomplet du reste, qu’il en a dressé lui-même. Il recevra 6,000 livres par mois jusqu’à la fin de la session de l’assemblée, et, à cette date, la somme de 1 million dont le montant, en quatre billets de la main du roi, avait été remis à M. de La Marck.

Depuis sa jeunesse, Mirabeau avait été trop souvent aux prises avec des embarras d’argent et trop peu scrupuleux sur les moyens de se procurer des ressources pour que ce nouvel acte de vénalité étonne ses biographes. Il avait vécu aux dépens de Mme de