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l’autorisation de conserver une pièce importante qui sortait d’un tiroir, il la trouva dangereuse après l’avoir relue et la remit directement à M. de La Porte. Ainsi s’explique la disparition presque inévitable de beaucoup de papiers. La question n’est pas de savoir si le comte de La Marck était tenu de tout publier. Nous n’avons pas le droit de lui imposer à distance, au nom de notre curiosité et de nos habitudes documentaires, un devoir unique d’éditeur. Il était meilleur juge que nous de ce qu’il devait d’une part à la mémoire de son ami, d’autre part à la cour. L’important est de savoir s’il a répondu à la pensée de Mirabeau, s’il a bien servi la gloire du grand orateur, en autorisant M. de Bacourt à publier la correspondance. Sur ce point, aucune hésitation n’est possible. Nulle part le génie politique de Mirabeau ne se révèle avec plus de puissance, plus d’ampleur et d’audace que dans cette publication. Sans ces documens de premier ordre on ne saurait qu’à demi combien il était fait pour gouverner les hommes, avec quelle absence de scrupules, avec quel mélange de fermeté et de raison il aurait dirigé, s’il l’avait pu, les destinées de la France. Son caractère même n’y a rien perdu. Ce n’est pas la correspondance qui nous révèle sa vénalité[1]. Elle éclate dans toutes les parties de sa vie. Lui-même ne s’appliquait pas à sauver les apparences. A peine eut-il reçu l’argent de la cour, qu’il augmenta effrontément son train de maison. Tout le monde savait qu’il était réduit auparavant aux derniers expédiens. Il n’en prit pas moins un hôtel dans la Chaussée-d’Antin, un valet de chambre, un cuisinier, un cocher, des chevaux, sans se soucier des commentaires que ce changement de vie allait provoquer.

Ne reprochons donc rien au comte de La Marck, encore moins à M. de Bacourt. Nous en prenons bien à notre aise lorsque nous comparons les devoirs d’un homme du monde chargé par une famille, dans des conditions déterminées, d’une mission spéciale d’éditeur, avec les devoirs d’un historien de profession qui découvre dans une bibliothèque des documens destinés au domaine public. Ces derniers documens nous appartiennent, ils sont la propriété de tout le monde, ils doivent être publiés dans leur intégrité. Mais celui auquel on confie des manuscrite en le chargeant de les publier est responsable de cette publication envers ceux qui les lui confient. vous n’avons pas qualité pour juger les confidences qu’il reçoit, les recommandations qui lui sont faites. Si

  1. Cette vénalité était publique. Un voyageur étranger, Halem, raconte qu’un jour pendant une des séances de l’assemblée nationale à laquelle il assistait, son voisin lui dit à l’oreille : Point d’argent, point de Mirabeau. »