Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/813

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devant le roi et lui demandât nettement d’accepter la collaboration de M. de Mirabeau. Cette collaboration, il la réclame entière, journalière, ostensible. Il entend donner son avis dans toutes les affaires. Il faut que la cour puisse dire : ces deux hommes-là ne font qu’un, il faut que le public le sache et le croie. Que ce rapprochement ne soit pas un rapprochement d’amitié, qu’il soit purement politique, peu importe. Mirabeau n’a pas besoin de l’amitié de La Fayette, mais il a besoin de tout savoir, d’entrer dans le secret de tout. On voit bien ce que Mirabeau aurait gagné à ce pacte. Il ne dissimule pas son intention d’agir sur les provinces, de nouer des intelligences avec les gardes nationales. Il se réserve la direction des brochures, des journaux, de la correspondance, la haute main sur le choix du personnel. Dans le tête-à-tête qu’il entrevoit avec son futur collaborateur il espère bien, tout en s’abritant derrière un nom qui a conservé tout son prestige, qu’aucun soupçon n’effleure, retenir et exercer le pouvoir. La Fayette sera l’honneur et la décoration du nouveau gouvernement, Mirabeau en sera l’âme. Le plan échoua, non par la faute de la cour, qui fut certainement tentée de l’appliquer, mais par la résistance de La Fayette. Celui-ci se cabra aux premières ouvertures qui lui furent faite?. Le nom de Mirabeau lui fit soupçonner un marché ou une intrigue, il flaira un piège et resta sur la défensive. Son attitude fut si décourageante qu’on n’osa pas renouveler la tentative. Une lettre que le roi devait lui adresser, que Mirabeau avait sans doute inspirée, resta dans l’armoire de fer où on la retrouva plus tard. Mirabeau le sut et s’en souvint. Les notes qu’il adresse à la cour sont remplies des jugemens les plus sévères et souvent les plus justifiés sur la conduite de La Fayette. Il le prend constamment corps à corps comme l’adversaire le plus insidieux et le plus dangereux de la royauté.

Si on ne peut faire aucun fonds sur La Fayette, si on ne peut compter ni sur sa pénétration ni sur sa fermeté, s’il est condamné à rester dans la dépendance de ceux dont il a l’air d’être le chef, ne pourrait-on sans lui agir sur l’assemblée, ne pourrait-on, tout en maintenant les principes constitutionnels, y obtenir une révision des parties défectueuses de la constitution? Dès qu’il s’agit de régler les rapports de la cour et de l’assemblée, Mirabeau revient sur une idée profondément juste, qu’il a essayé l’année précédente de faire prévaloir, qui n’a échoué que par une coalition inattendue de la droite et d’une partie de la gauche. Il rappelle l’avantage qu’il y aurait à choisir les ministres parmi les membres de l’assemblée. On rétablirait la cordialité et la confiance entre la majorité et la cour, l’unité d’action dans le gouvernement, l’intégrité du pouvoir royal, qui ne peut être garantie que par la responsabilité