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de Newcastle. » Eh! non, ce n’était que la peu morale Muskerry déguisée en Babylonienne. Par cette moquerie, qui résume bien ce que les contemporains reprochaient à la duchesse, Charles II exprimait en même temps ce qui manquait trop à sa cour et faisait involontairement la satire de son règne. Au milieu du monde corrompu de la restauration, la duchesse fut à peu près seule à représenter la vertu. Oh! une vertu qui n’était ni bien stoïque, ni bien mystique, une vertu très laïque, très accessible, mais qui, par cela même, eût été digne de plus d’imitation qu’elle n’en rencontra, et s’il en eût été ainsi, qui sait jusqu’où cette imitation facile n’aurait pas poussé ses bienfaits? Il faut souvent aussi peu de chose pour sauver sociétés et états que pour les perdre, et on peut sérieusement se demander si, pour sauver le trône des Stuarts, il n’aurait pas suffi de tenir plus de compte qu’il n’en fut fait des qualités que nous observons chez cette duchesse si ridiculisée, si raillée, si délaissée des contemporains. Deux choses ont perdu la monarchie des Stuarts : le spectacle des mœurs de la cour, qui finit par amener la nation à l’opinion des puritains, et l’intransigeance religieuse, qui finit par arracher à la royauté ses meilleurs et ses plus constans défenseurs, double danger qui aurait pu être évité, ce semble, sans trop d’austérité ni trop de concessions douloureuses à la conscience. Supposez chez Charles II un peu de cette décence de mœurs si chère à la duchesse, et dites si l’opposition des puritains ne fût pas restée sans écho, restant en partie sans objet? Et, d’autre part, qu’aurait-il fallu à Jacques II pour qu’il évitât sa perte? tout simplement qu’il portât dans les choses de la religion le même esprit respectueux, mais circonspect, qu’elle y portait. Pour maintenir les Stuarts, la nation anglaise ne leur demandait que des à-peu-près, et c’étaient précisément ces mêmes à-peu-près salutaires que nous rencontrons dans les écrits de la duchesse de Newcastle.


EMILE MONTEGUT.