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mouvemens extérieurs auxquels ils sont liés ; la discussion qui porte sur la nature de ce lien et sur la valeur relative de ses deux termes est étrangère au débat sur l’universelle détermination. On peut, sans cesser d’être déterministe, préférer la doctrine des idées-forces à celle des idées-reflets[1], refuser de voir, dans une conscience qui s’allume un jour parmi des mouvemens nerveux, un simple épiphénomène inutile et inefficace, autant qu’inexplicable, dont l’absence n’eût rien changé au cours de l’évolution phénoménale[2]. On peut, sans croire le moins du monde au libre arbitre, et en se pénétrant au contraire de l’idée d’une nécessité universelle, d’une nécessité vivante et finale jointe à une nécessité physique et causale, repousser une conception qui supprime à la conscience toute raison d’être et fait de la réalité par excellence une vaine superfluité. Or, si l’on n’envisage l’agent d’un crime que comme un petit tourbillon de mouvemens cérébraux, compris et noyé dans le grand tourbillon cosmique, je comprends qu’on refuse à cet être, qui n’en est pas un, à ce point d’intersection de facteurs physiques, non-seulement toute liberté, mais toute individualité. Dès lors, quelle absurdité de le juger coupable, de le vouer à la réprobation? On ne blâme ni n’approuve, on n’aime ni ne hait, un mécanisme simplement physique. Il n’en est pas de même des mécanismes « à ressort mental, » pour employer l’expression de M. Fouillée. Est-ce que des mécanismes animés, dans leurs relations mentales et sociales, ne peuvent pas, ou plutôt peuvent ne pas se haïr ou s’aimer, se blâmer ou s’approuver, puisque la haine ou l’amour, l’approbation ou le blâme, sont l’expression spéciale de leurs accords ou de leurs conflits de volontés, comme la joie et la douleur expriment leurs accords ou leurs conflits avec les choses? Ni la nécessité, ni la continuité même des phénomènes solidaires de l’univers, ne signifient la confusion universelle. Tout enchaîner, ce n’est pas tout brouiller.

Au demeurant, nous n’oublions pas que nécessité et liberté, — Ce dernier terme pris dans une acception toute métaphysique, étrangère au sens des moralistes, — sont deux idées corrélatives. Ces lois, en effet, auxquelles on dit que tout obéit, sont-elles donc des ordres? Si elles ne sont pas des ordres d’un législateur divin, que peuvent-elles être, sinon des habitudes que se sont formées

  1. Voir l’Évolutionnisme des idées-forces, par M. Fouillée (Paris, 1890).
  2. Epiphénomène est un néologisme commode et qui a eu du succès. Tout ce que nos savans ne peuvent expliquer, ils le relèguent dans cette nouvelle catégorie des faits, inventée à leur usage. Je lisais dernièrement ces lignes d’un anthropologiste embarrassé pour donner une explication biologique du crime : « En un mot, le crime est là comme toujours un épiphénomène, un accident dans la vie de certains sujets, »