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se développe avec la grâce robuste d’un chêne. L’autre, chétif, venu au monde dans les quartiers pauvres des cités, ne possède aucun de ces avantages. Il est pâle, étiolé, et sa jeune constitution s’atrophie au foyer paternel étroit et sombre, désert d’ailleurs et dont rien ne rappelle à l’enfant la bienfaisante influence. Le mari au chantier ou à l’usine, la femme à l’atelier de couture, rentrent le soir si harassés de leur journée et si brisés de lassitude qu’ils n’ont ni la force ni le loisir de s’occuper de leur monde. L’aîné des garçons est sorti, la fille est dehors. Bah! ils rentreront, pourquoi s’inquiéter? Le plus pressé, c’est d’avaler à la hâte un maigre souper et de gagner le lit pour être debout le lendemain à la première heure et présent à l’appel du contremaître. Manger, dormir, travailler, fonctions machinales absorbantes à côté desquelles il n’y a plus rien ! c’en est fait des repas pris en commun, de la vie patriarcale, du temps consacré à un repos nécessaire. Aiguillonné par la concurrence qui le presse, n’ayant de soucis que pour ses intérêts et sa fortune, le patron surmène ses employés, garde jusqu’à la nuit ses hommes épuisés, et tandis qu’aux champs le soir qui tombe et l’obscurité qui couvre la plaine ramènent sous le toit familial le laboureur fatigué, — le gaz, l’électricité, la lumière crue et aveuglante de la manufacture et de la boutique embrasent les villes et retiennent l’ouvrier loin des chers petits délaissés. On imagine aisément à quel abandon lamentable sont exposés les enfans du vagabond, du voleur, ou de la fille, lorsqu’il est si difficile aux travailleurs honnêtes d’exercer sur les leurs la surveillance indispensable. Il est vrai, l’amour maternel fait quelquefois des miracles et illumine de sa piété touchante les âmes des perverses et des corrompues. Entre le mal tentateur et l’être trop jeune pour y résister, la mère se dresse, résignée à sa propre ignominie, mais barrant la route à l’ennemi. Oui, il y a de ces exceptions. Mais à côté de dévoûmens trop rares, c’est par milliers qu’il faut compter les cas où la maternité n’est envisagée que comme une tâche importune. N’est-ce que cela? Non, hélas! Il existe dans les villes anglaises des couples prêts à tout, même à l’assassinat lentement et savamment accompli. Nous placerons sous les yeux du lecteur, en nous appuyant sur des témoignages qu’on n’a pas sérieusement contestés, les mystères du baby farming et de l’assurance sur la vie des nouveau-nés. Il n’est pas téméraire d’affirmer que les forfaits dont ces pratiques suggèrent l’idée et favorisent l’exécution seraient plus répandus encore, si la peur du bourreau et de sa corde, entrevus dans le cauchemar des nuits, ne préservait d’une mort violente des centaines de créatures innocentes.