Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anciennes qui se soient conservées. Nous sommes armés pour juger avec confiance des questions générales.

Les Hindous ne se sont pas contentés d’écrire pour le théâtre. On sait quelle application persévérante ils ont, en toutes choses, portée à l’analyse des faits intellectuels, à la rédaction des manuels propres à l’enseignement : tout y a passé, jusqu’au manuel du parfait voleur et de la parfaite courtisane. Ils ne pouvaient manquer d’élaborer une sorte de théorie dramatique ; ils ont consacré des ouvrages étendus à la pratique du théâtre. Curieuses en elles-mêmes, ces tentatives, par les procédés intellectuels qu’elles trahissent, nous ouvrent des jours précieux sur leur tour d’esprit ; elles nous aident surtout à définir et à mesurer ce qui s’est chez eux développé de sentiment dramatique dans la conscience littéraire.

Jamais les représentations dramatiques, on s’y attend, n’ont eu dans l’Inde, par la fréquence et la régularité, l’importance qu’elles ont prise dans l’occident contemporain. Elles n’ont jamais été, comme dans notre moyen âge, que des divertissemens exceptionnels. Elles n’avaient pas d’asile permanent : elles exigeaient des constructions temporaires, et le nom du régisseur paraît le désigner comme l’architecte de l’édifice. Quand elles étaient données dans la demeure des râjas, elles se déployaient dans la « salle de concert, » qui semble n’avoir manqué dans aucun palais. À la cour, chez les riches, elles avaient un caractère privé, bien que l’occasion en fût ordinairement empruntée à des solennités générales et au moins à demi religieuses, telles que la Fête du printemps. Elles prenaient aussi, elles ont en plusieurs cas conservé jusque de notre temps le caractère public. Leur place était marquée dans certaines fêtes religieuses. Elles avaient alors une allure spontanée qui s’est en quelque mesure perpétuée dans les yâtrâs, dans ces spectacles lyriques du Bengale moderne où sont mis en œuvre dans des chants alternés des incidens empruntés aux amours de Krishna et de ses bergères. L’Inde, en ce sens, a eu un théâtre populaire ; mais ce que nous en savons peut tout au plus servir à jeter quelques lumières sur la question difficile des origines dramatiques ; les documens ne nous permettraient pas de l’étudier de près. C’est dans le théâtre littéraire que nous nous cantonnons ici.

Il ne nous apparaît, on le voit, ni avec le prestige de popularité qu’il a conquis parmi nous, ni avec l’autorité à la fois religieuse et officielle qui, à Athènes, fit du théâtre une institution de la cité.

Comme les nôtres, les pièces dans l’Inde se divisent en actes ; le nombre en est variable, suivant les circonstances et les genres, d’un jusqu’à dix et même plus. À la différence des nôtres, elles s’ouvrent par une invocation et par un prologue qui met en scène le régisseur, renseigne le public sur l’auteur et sur la pièce ;