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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/920

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ne devait pas être obtenu aussi facilement. M. Balmaceda avait parfaitement préparé sa résistance : il avait nommé ministre de la guerre un général, et préfets un grand nombre de colonels; il avait congédié tous les officiers douteux ou peu enthousiastes de sa cause et avancé d’un grade à peu près tout le reste ; il doublait le traitement des officiers et la solde des troupes; il avait recueilli l’armement et les munitions disséminées dans les départemens; il élevait à 30,000 hommes l’effectif de l’armée active et faisait poursuivre et mettre en prison tout citoyen capable de prendre l’initiative et la direction du mouvement révolutionnaire dans les différentes parties du pays.

En revanche, l’insurrection n’avait que la flotte, puissante il est vrai sur mer, mais qui ne peut rien faire au centre du pays. Son action ne peut produire d’effet qu’à la longue. D’ici à quelques mois, en effet, le gouvernement aura épuisé les 20 millions de piastres de la réserve et les 10 autres millions émis par décret, et, ne pouvant plus tirer de ressources des douanes, il sera bien près d’être vaincu; mais il a encore le temps d’agir. En dehors de la flotte, l’insurrection a des bras nombreux et des bonnes volontés partout, ainsi que l’appui effectif du clergé et des grandes fortunes. Les dernières nouvelles ont annoncé quelques rencontres dans les provinces du nord du Chili, dont une assez sérieuse, où ont été complètement défaites les troupes du gouvernement. Ces provinces n’étant attaquables que par mer, les insurgés sont maîtres du territoire du salpêtre et des trois ports qui produisent les deux tiers des recettes chiliennes. Grâce à cette circonstance, les partisans du congrès ont pu organiser à Iquique un gouvernement ayant à sa tête les présidons des deux chambres, et former une armée en vue d’attaquer le gros des forces de M. Balmaceda, concentrées près de Santiago.

Dans ces conditions, il est très difficile de prévoir quel sera le résultat de la lutte, de d re qui remportera la victoire. En ce moment-ci, tout ce qu’on peut assurer, malheureusement pour le pays, c’est que la lutte semble devoir se prolonger, par suite de la puissance et de l’isolement de chacune des deux forces ennemies, et, en se prolongeant, elle a toute chance de se convertir en une longue et désastreuse guerre civile.

Et maintenant, quel est le but poursuivi par M. Balmaceda et ses amis personnels, d’une part, et par la majorité du parlement et par le peuple, de l’autre? L’objectif de M. Balmaceda reste un mystère : on ne peut pas supposer qu’il sacrifie son pays pour l’unique satisfaction de désigner son successeur; il n’est pas probable non plus qu’il ait songé à rester au pouvoir; ni lui, ni ses amis ne proclament aucun programme, aucune doctrine, aucune réforme pour justifier une politique quelconque. C’est pour cela que