Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/928

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frères Galignani en redingotes et en pantalons, et qu’il avait su faire de ce groupe, par une intelligente soumission à la réalité et un sentiment de bonhomie élevé, une œuvre à la fois familière et puissante. Quelle que soit, dans la Princesse de Galles, l’importance des falbalas, jupons, soieries, broderies, dentelles, traitées avec une rare prestesse, le grand esprit de l’artiste s’y manifeste surtout par le naturel de l’attitude, la facilité des arrangemens, l’expression affable et sérieuse du visage. L’effigie de M. le cardinal de Bonnechose, destinée à surmonter un tombeau dans la cathédrale de Rouen, laissait plus de liberté à son imagination. Dans cet ordre d’idées, sans modification apparente des attitudes et des gestes traditionnels, cette statue de prélat agenouillé, les mains jointes, traînant derrière lui le long flot de son manteau, est un véritable chef-d’œuvre. C’est un chef-d’œuvre psychologique, si l’on examine la tête ferme, énergique et vive, avec un clignement d’yeux et un plissement de lèvres d’une expression si particulièrement hautaine et fine ; c’est un chef-d’œuvre sculptural, si l’on remarque l’extraordinaire aisance, sans nulle emphase ni redondance, avec laquelle le personnage porte, tout prêt à se mouvoir, la lourde masse de ses vêtemens et l’adresse avec laquelle, sans mesquinerie, toutes ces draperies sont jetées, superposées, froissées, suivant la nature du tissu, si l’on observe aussi avec quel sentiment décoratif sont posés, sous les genoux de l’archevêque, son chapeau de cardinal, et, à son côté, sous un pan d’étoffe, sa longue crosse en argent doré. Il y a là une habileté à manier et faire sentir les diverses matières qui dépasse de beaucoup toutes les habiletés italiennes, parce que c’est une habileté à la fois plus sérieuse et plus discrète et toujours rigoureusement soumise à la préoccupation dominante et supérieure de l’unité sculpturale et de la haute expression morale.

Les sculptures de Delaplanche sont d’une portée un peu moindre. Son Saint Jean-Baptiste assis, pour l’hôpital d’Épernay, est une de ces robustes figures, solidement campées et franchement accentuées, dans notre tradition du xviie siècle, comme il en avait déjà taillé plus d’une, en maître ouvrier qu’il était, sans y apporter d’innovations très apparentes. En réalité, lui aussi, c’était un amoureux de l’éternel féminin, et c’est par ses évocations aimables ou attendries de la beauté, par son Message d’amour, sa Musique, sa Danse, sa Vierge au lis, sa Sainte Agnès, que son nom vivra surtout dans nos mémoires. La figure d’Ève, la pécheresse typique, avait souvent hanté son imagination. Au Luxembourg, nous avions Ève après le péché, une femme à l’ampleur puissante, la mère vaillante du genre humain. Au Salon, c’est Ève