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graveleuses de brahmanes dévergondés et des comédies de mœurs bourgeoises, des drames politiques et des allégories philosophiques, des spectacles édifians et des monologues d’actualité. Presque tous les sujets lui sont bons, mais sous une condition : il se meut également dans les palais et dans les ermitages, sur les champs de bataille et parmi les courtisanes, dans le ciel et sur la terre ; mais il lui faut invariablement un dénoûment heureux. Cette règle pourra surprendre ; nous avons les oreilles si rebattues du pessimisme hindou ! Ce fameux pessimisme mériterait d’être défini avec plus de précision. À coup sûr, on se tromperait grandement à imaginer que le pessimisme où, par plusieurs vues, aboutit l’esprit hindou, corresponde à un tempérament sombre, attristé. Il est une certaine mollesse dans l’activité extérieure, un certain quiétisme qui peut être souriant, joyeux même dans la vie, encore que, dans la spéculation, il incline à des thèses dont une stricte logique est fondée à déduire des conclusions désolées. Le pessimisme des Hindous n’a jamais fait tort à la sérénité native ni à la gaîté facile de leur caractère. Ce n’est pas aux larmes, mais aux impressions riantes, que, au théâtre, ils demandent leur plaisir.

Ce théâtre a moins de liberté d’allure que ne le laisserait attendre la variété des sujets qu’il touche. Le langage qu’il emploie en fait le privilège d’une petite élite de lettrés ; il le marque comme une production savante, presque pédante. C’est un exercice littéraire. On y pourra rencontrer des délicatesses ingénieuses, des peintures brillantes ; il n’y faut pas chercher le reflet sincère, l’expression souple et vivante du milieu contemporain. Il n’est point jusqu’aux farces que l’excès même de la bouffonnerie ou de la grossièreté ne relègue, elles aussi, dans le domaine de la fantaisie. Quant aux autres œuvres, qu’elles nous transportent dans le monde légendaire et facilement merveilleux de l’épopée, qu’elles se meuvent dans le cadre plus ou moins arbitraire d’une cour de roman, même lorsque, par hasard, elles descendent jusqu’à des intrigues empruntées à la vie moyenne, elles gardent une physionomie conventionnelle. Non-seulement plusieurs personnages, le brahmane gourmand et plaisantin qui accompagne le roi, les amies de la reine, le parasite bel esprit, ont un rôle stéréotypé, mais certaines catégories de pièces sont toutes jetées dans le même moule, la fable en reste à peu près invariable. L’originalité du poète n’a de jeu que dans le choix des ornemens de détail, dans le tour qu’il donne à quelques incidens.

Un pareil théâtre ne peut manquer de payer cher son divorce avec la vie réelle, son insouci des conditions propres à la représentation dramatique. La mimique est chargée d’éveiller l’idée d’une foule d’incidens qui se dérobent à la mise en scène, surtout