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France depuis le IXe jusqu’au XVIe siècle, lui assure, parmi nos architectes-archéologues, une place des plus distinguées. Pour la Renaissance, les relevés les plus instructifs sont ceux du Château d’Écouen, par M. Dutocq, qui nous permettent d’examiner de près le chef-d’œuvre de Bullant et d’en admirer les merveilleux détails; de l’Hôtel de Moudrainville à Caen, par M. Malençon, de la Collégiale d’Oiron, par M. Libaudière; de la Porte de Saint-Maclou, à Rouen, par M. Paulme; de la Porte Heurtaut, au château d’Amboise, par M. Gabriel Ruprich-Robert.

Les œuvres originales d’architecture qui attirent l’attention ne sont pas aussi nombreuses que les études rétrospectives. Ce n’est pas qu’on n’y voie, en quantité, des projets d’hôtels de ville, d’écoles, d’universités, de mairies ; mais la plupart de ces dessins ne sortent pas de la banalité, et, dans ceux qui essaient d’en sortir, l’influence des expositions dernières joue parfois un rôle néfaste. Il y a, en effet, un style d’exposition, si l’on peut appeler un style le pêle-mêle incohérent de toutes les formes et de toutes les matières appliquées, souvent à titre d’essai, à des édifices d’un caractère provisoire, dont la qualité principale ne peut être que l’apparence légère et le décor amusant. Appliquer cette parure théâtrale à un édifice durable et sérieux, c’est habiller, à la ville, une honnête femme d’oripeaux de carnaval. Nombre d’autres projets ne sont que de lourds entassemens de réminiscences académiques, comme nous en voyons dans les concours d’écoles, indistinctement destinés aux usages les plus divers, banques, théâtres, universités, etc. La plupart des étrangers se distinguent, il faut bien le dire, par ce goût déplorable pour les masses pédantesques et confuses. Nous retrouvons un sentiment plus délicat, une appropriation plus juste et plus simple des traditions aux nécessités modernes, de la netteté dans la conception, de la fermeté dans l’exécution, chez M. Dusart (un Projet de gare) et chez M. Antonin Durand (Caserne des Célestins, — École professionnelle du meuble). Un Monument commémorât if de la guerre de 1870-71 au Bourget, par M. Deslignières, en forme de tombeau, présente aussi une masse, des profils et un décor d’une gravité simple qui contraste heureusement avec les tendances générales aux agitations de lignes et aux surcharges d’ornemens. En attendant qu’on leur offre des occasions de développer leur originalité, nos jeunes architectes ont, en somme, grandement raison de se mettre à l’école des bons maîtres du passé.


GEORGE LAFENESTRE.