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conseil d’État le soin de le débrouiller. C’est ce qui est arrivé pour les lois de l’enseignement et la loi militaire notamment. » — Il n’a pas ajouté que c’était tout simplement de l’anarchie !

On le remarquera, c’est surtout à l’occasion des affaires ouvrières, de ce qu’on appelle les questions sociales, que se manifeste cette passion de se mêler de tout. C’est d’une sympathie, sincère nous n’en doutons pas, que se colore cette manie d’intervention à propos des plus simples détails de la vie industrielle. Il y a même une sorte d’émulation dans tous les camps, et les socialistes catholiques, puisqu’il y en a, ne sont pas loin de se faire les auxiliaires des socialistes radicaux dans leurs revendications. C’est l’idée fixe, l’obsession du jour. Qu’on ne cesse de s’occuper de l’organisation du travail, de ses conditions, de ceux qui vivent de leur labeur, soit ; c’est évidemment, aujourd’hui, un des plus pressans intérêts. Il ne faudrait pas cependant dépasser toute mesure, confondre tous les rapports des choses, transformer les chefs d’industrie en ennemis qu’on doit réduire à merci, créer aux ouvriers une position privilégiée, engager l’État dans une politique de protection universelle sous laquelle il ne tarderait pas à succomber. Que deviendront toutes ces lois, les unes déjà votées, les autres préparées, — et la loi sur les syndicats, et la loi sur les assurances, et la loi que M. le ministre de l’intérieur, à son tour, vient de proposer sur les caisses de retraites ? On ne le sait pas encore ; on tente, pour sûr, une grave et délicate expérience. En attendant, M. le ministre des travaux publics parlait évidemment avec une prévoyante sagacité lorsqu’il disait, l’autre jour, que c’était « faire tort aux lois dites ouvrières que de les mettre tous les jours en question à propos des plus petits incidens, » qu’on risquait « par là même de provoquer une réaction. » C’est au moins imposer à la république d’étranges responsabilités, — et le sentiment de l’avenir qu’on prépare n’est peut-être point étranger à l’incertitude qui survit jusque dans l’apparente sécurité du moment.

Certes, on ne peut le nier, nous vivons dans un temps de fermentation universelle, d’incessantes transformations en Europe, dans le monde entier. Tout change avec les régimes qui se succèdent, avec la marche des choses, et les mœurs et les idées et les institutions et la vie sociale et les conditions de la puissance des peuples, de l’action morale ou politique des gouvernemens. Tout se modifie par une force secrète qui mène le monde, qui prépare un avenir inconnu, et un des signes les plus curieux de cette métamorphose universelle est certainement le mode d’existence et d’intervention de la papauté dans les affaires du temps. Depuis moins d’un demi-siècle, depuis trente ans à peine, que de changemens se sont accomplis et ont trompé tous les calculs ! Ce qui paraissait impossible s’est réalisé, ce qu’on croyait mort