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vendeur étranger. » Or, les objets protégés ayant au contraire immédiatement changé de valeur, et les nouveaux prix, dénommés sur l’heure prix Mac-Kinley, étant de 20 à 30 pour 100 plus hauts que ceux de la veille, le moins expert des Américains en économie politique fut obligé de s’apercevoir qu’un droit à l’importation est bien une taxe sur la consommation.

Et alors l’iniquité de la mesure apparut évidente à tous les yeux : — « Quand le mal est devenu incurable, dit le Times en termes fort pittoresques, les moutons apathiques se sont changés en loups furieux et ont lancé leurs persécuteurs épars dans le désert politique. » — Ce qui signifie que le suffrage universel, très irrité, profita de l’occasion qui s’offrait le 4 novembre 1890, pour jeter sa colère au travers des intrigues et des calculs des partis et pour renvoyer les deux tiers des républicains du dernier congrès à l’étude désintéressée des questions économiques.

Le parti démocrate ne comptait assurément pas sur une revanche si prompte et si éclatante de sa défaite de 1888. Sans doute il était visible depuis deux mois que les républicains avaient compromis leurs affaires en prolongeant la session au-delà de toute limite et en votant des crédits insensés pour les pensions et les travaux publics, et qu’ils couraient à un échec aux élections de novembre. Mais on n’eût jamais imaginé que l’échec prendrait de telles proportions. Les démocrates espéraient obtenir une majorité de 15 à 20 voix. Si l’on en croit le Commercial Advertiser, qui est un important organe indépendant de New-York, le comité qui menait de Washington la campagne électorale pour les républicains, désespérait, dès le milieu d’octobre, du succès. Les chefs du parti comprenaient trop tard quelle faute grave de stratégie ils avaient commise en faisant commencer un mois avant les élections l’entrée en application du tarif. Dans les imprimés distribués par millions aux électeurs, on ne parlait plus du tarif, mais seulement des pensions et de la question de l’argent. Des sommes considérables étaient envoyées dans le district de M. Mac-Kinley pour prévenir au moins cette humiliation de la chute de l’auteur du bill devant ses propres mandataires.

Rien ne put conjurer les effets terribles de la colère populaire. M. Mac-Kinley resta sur le carreau et avec lui une centaine de ses collègues et confrères en protection. Les démocrates disposeront, dans le prochain congrès[1], d’une majorité de plus de 120 voix ; le parti républicain tombe, dans la chambre des représentans, à l’état d’une minorité, impuissante même pour l’obstruction. Les démocrates, alliés presque partout au nouveau parti agricole, ont

  1. Qui se réunira en novembre 1891 et vivra jusqu’au 4 mars 1893.