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« pouvoir de l’argent » sortira, dans la grande lutte présidentielle de l’an prochain, la candidature sérieuse du « parti du citoyen contre le dollar. »

Il apparaît, en tout cas, que les républicains ne conçoivent aucune émotion réelle de ce qui s’agite et s’élabore dans les couches profondes de la population ouvrière des campagnes et des villes. Même la leçon si brutale des élections de novembre 1890 a visiblement perdu pour eux de son éloquence et de sa portée des premiers jours. Ils comptent que la nation américaine aura eu le temps de s’accommoder aux conditions commerciales nouvelles[1], et M. Mac-Kinley, le vaincu d’hier, ne désespère pas de pouvoir dans quelques mois produire sa candidature à la présidence. S’il donne suite à ce dessein, il aura pour concurrent M. Blaine, qui travaille à atténuer les effets du tarif Mac-Kinley à l’égard des républiques de l’Amérique du Sud, et même s’il se peut, du Canada. Il a déjà conclu un traité de réciprocité avec le Brésil et un autre avec l’Espagne pour Cuba et Porto-Rico. Il poursuit activement ses négociations avec d’autres États du continent américain. Mais M. Harrison, qui, de son côté, goûte fort la présidence, où un coup de hasard l’a porté en 1888, n’est nullement disposé à céder la place à son secrétaire d’état, et entend faire valoir devant la nation ses droits ou ses prétentions à un deuxième terme, en arborant hardiment comme drapeau la protection à outrance. Cette résolution, il vient de l’affirmer urbi et orbi dans une première tournée électorale qui l’a conduit jusqu’à San-Francisco par les États du Sud et qui a été pour le futur candidat un succès personnel incontesté.

Serait-ce donc que ces hommes d’État regardent déjà comme un phénomène évanoui, comme une chose du passé, le terrible verdict porté sur leur politique, il y a six mois, par le suffrage universel ? Ils prétendent que les démocrates ne pourront s’entendre ni avec l’Alliance, ni avec les associations ouvrières ; que, d’ailleurs, la récolte aux États-Unis s’annonce magnifique, que les prix des céréales se maintiendront élevés et que les cultivateurs, dans la prochaine campagne, occupés de récupérer leurs pertes des dernières années, n’auront plus le loisir de songer à la politique. Ils affectent de tourner en dérision la nouvelle candidature de M. Cleveland, dont les opinions, en matière monétaire, sont en contradiction formelle avec les doctrines des inflationnistes, des silvermen et des millions d’hommes qui poussent le cri de more money ! Bref, ils

  1. La nouvelle chambre des représentons, où les démocrates seront maîtres, pourra tenter une révision du tarif Mac-Kinley, au plus tôt dans les premiers mois de 1892. Ses efforts, selon toute probabilité, échoueront contre la résistance du sénat, et, en dernier ressort, contre le veto du président.