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nature, ce qui est aller un peu trop loin, selon nous. Cette conception domine dans le projet de loi récemment présenté à la chambre, sur lequel nous aurons à revenir, et elle a été mise en avant dans un journal spécial avec beaucoup de force par un habile défenseur, M. Billette, qui l’a résumée en ces lignes : « Faciliter aux fournisseurs l’escompte des billets à ordre qu’ils reçoivent de leur clientèle rurale en règlement de leurs factures. » On n’a plus le droit, dans ces conditions, de se faire une arme préventive des périls que peut offrir l’emprunt d’argent, on n’a plus à redouter que le cultivateur y cherche un moyen de payer ses dettes, d’acheter de la terre à tout prix, et d’augmenter sans profit ses consommations pour satisfaire à des besoins de luxe ou de confortable. C’est au capital d’exploitation que ce procédé profiterait, et il n’y a que lui qui soit intéressant dans cette question du crédit agricole.

Est-il vrai enfin que l’agriculture ne réalise pas assez de profits pour offrir au crédit des garanties suffisantes ? Il semble pourtant qu’une branche de production dont le capital mobilier est évalué à 8 milliards présente un assez beau gage. Mais tenons-nous-en à ce qu’on allègue des profits agricoles. On dit que l’industriel qui emprunte à 5 pour 100 peut rembourser capital et intérêt et s’enrichir par-dessus le marché, tandis que, la terre ne rapportant que 2 ou 3 pour 100, tout emprunt à un taux égal devient illusoire ou dangereux. On ne s’aperçoit pas que ceux qui raisonnent de la sorte commettent une assez grosse erreur de fait. Un pareil calcul ne comprend que la part du propriétaire et omet les profits du fermier. Dans l’absence de fermage, par exemple, dans le cas de la petite propriété faisant valoir directement et économisant en grande partie les frais de la main-d’œuvre, comment supposer une moyenne aussi faible, et s’imaginer que les cultivateurs consacreraient à la terre leurs capitaux et un labeur quotidien infini pour arriver à un si médiocre résultat ? Si l’on réunit tout ce qui constitue le revenu territorial, ce n’est pas à 3, c’est à 7 ou 8 et même parfois jusqu’à 10 qu’il s’élève, de l’avis commun des statisticiens et des agronomes. Or, le prêt, dans les pays à crédit agricole, se fait à un taux bien inférieur à 5 pour 100 ; il dépasse rarement 3, laissant ainsi une marge suffisante pour le remboursement et pour une part raisonnable de bénéfices.

Quant à dire que l’agriculture exige de longs crédits, parce que ses opérations se font à longue échéance, ce qui crée une difficulté de plus, nous reconnaissons qu’il y a là quelque chose de vrai, non pas toutefois sans faire d’importantes réserves. Il existe une certaine succession dans la série des productions et des ventes