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édifices inattendus et exemplaires, au milieu du courant de la production contemporaine, mais sans pouvoir jamais ni l’arrêter, ni l’endiguer, ni la diriger. C’est peine perdue pour les jeunes peintres de vouloir imiter M. Puvis de Chavannes, comme ce le fut pour d’autres d’imiter Eugène Delacroix ou Gustave Moreau. La sérénité contemplative de son âme, ce qui s’exprime de noble et de beau à travers la langueur fondante de son coloris et l’indécision massive de ses formes, leur restera toujours insaisissable ; ils n’en surprendront que ces apparences toutes de surface, cette langueur et cette indécision, c’est-à-dire ce qu’il y a de moins propre à exprimer une autre âme, ce qu’il y a de plus difficile à justifier avec les aspirations naturalistes de l’art moderne. M. Puvis de Chavannes est un écho magnifique du passé, mais c’est un écho. La voix pleine et sonore, la voix qu’il faut toujours écouter retentit plus loin et plus haut, chez les maîtres clairs et robustes, fermes, sains, éclatans, elle retentit surtout dans la nature vivante et agissante, et c’est là que nos jeunes artistes, ceux qui veulent exprimer des sentimens nouveaux et créer à leur tour des types durables, doivent aller l’entendre. Rien n’est plus étrange que de voir appliquer les procédés sommaires et flottans de ce dilettantisme rêveur à des sujets contemporains historiques, à des sujets de pure observation ou d’évocation déterminée, dans lesquels la précision, l’exactitude, le mouvement, l’éclat sont les qualités les plus nécessaires pour accentuer la vraisemblance de la représentation et en augmenter l’effet expressif.

C’est pourtant à cette erreur que s’abandonnent la plupart des jeunes peintres chargés de décorer les édifices publics de Paris et de la banlieue, et cette erreur est d’autant plus choquante que municipalités et artistes rivalisent à qui apportera, dans le choix et dans l’exécution des sujets traités, le moins de poésie et de fantaisie qu’il soit possible. A propos du Salon des Champs-Elysées, nous avons déjà remarqué l’insignifiance, la platitude, on pourrait dire parfois l’inconvenance ou la grossièreté de ces sujets ; notre jugement ne peut pas se modifier au Champ de Mars. Tantôt ce sont les ordonnateurs qui ont enfermé les artistes dans des limites trop mesquines ; le plus souvent, c’est à craindre, ce sont les artistes qui n’ont pas su librement se mouvoir dans ces limites assez élastiques. En tout cas, le résultat ne répond pas généralement au but que devrait se proposer toute œuvre d’art qui s’adresse au peuple, son élévation morale ou son instruction patriotique. La Sortie pendant le siège de Paris en 1870, pour l’Hôtel de Ville, prêtait, par exemple, à des développemens épiques ou dramatiques. M. Adolphe Binet, un homme de talent, mais d’un talent trop calme et trop reposé pour son âge, comme celui de presque toute sa génération, n’a vu,