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différent, en les superposant et les combinant pour en faire une image unique, le stéréoscope donne aux objets qu’il nous montre un air de réalité vivante qu’ils n’ont jamais dans un tableau. On pourrait ajouter que ce qui nous aide le plus à apprécier la profondeur d’un champ de blé ou d’avoine, c’est l’extinction graduelle des mouvemens que nous y percevons. Si tranquille que soit l’air, les premières rangées d’épis ne nous paraissent jamais absolument immobiles ; à mesure que nous portons plus loin notre regard, le mouvement échappe à notre perception, et le repos des derniers plans nous avertit de leur éloignement. La peinture fait reposer et dormir ses premiers plans comme ses fonds et m’apprend ainsi qu’elle mêle un peu de feinte à ses imitations.

Le peintre doit renoncer aussi, comme l’a remarqué Helmholtz dans ses belles leçons sur l’optique et la peinture, à reproduire exactement les couleurs, les lumières, les ombres naturelles. Supposez, nous dit le savant physicien, deux tableaux pendus au même mur, exposés au même jour, dont l’un représente une caravane de Bédouins drapés dans leurs manteaux blancs et de nègres à demi nus, cheminant à l’aveuglante lumière du soleil de l’Afrique, l’autre un clair de lune bleuâtre qui se réfléchit dans l’eau, avec des groupes d’arbres que la nuit enveloppe. Dans ces deux tableaux, le même blanc, un peu modifié, aura servi à peindre les parties les plus éclairées, le même noir à représenter les parties les plus sombres. Or. selon les mesures et les calculs de Wollaston, la lumière du soleil est 800,000 fois plus intense que celle du plus beau clair de lune. « Le peintre du désert a dû peindre les vêtemens vivement éclairés de ses Bédouins avec un blanc qui, dans le cas le plus favorable, ne possédera guère que la vingtième partie de la clarté réelle. Si l’on pouvait transporter ce blanc au désert sans changer la lumière, il apparaîtrait à côté du blanc de là-bas comme un noir grisâtre très foncé ; en effet, j’ai trouvé dans une expérience qu’un noir de fumée sur lequel donnait le soleil avait encore la moitié de la clarté du blanc à l’ombre, dans une chambre bien éclairée. » Dans le second tableau, le peintre, pour représenter le disque de la lune, a dû employer à peu près le même blanc qui a servi à peindre les manteaux des Bédouins, quoique la vraie lune ne possède que le cinquième de cette clarté et que son image dans l’eau en ait encore beaucoup moins. D’autre part, s’il est éclairé par la lumière du jour, le noir le plus foncé que puisse employer l’artiste le serait à peine assez pour rendre la vraie lumière d’un objet blanc éclairé par la pleine lune.

Il en est des couleurs comme des clartés ; le peintre n’en peut rendre les valeurs exactes, il n’en reproduit que les gradations et