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événemens comme si nous les avions voulus. En mécanique, reflet est toujours exactement proportionnel à la cause, le choc à la raison composée de la vitesse et de la masse. Ce qui rend tragique la vie humaine, c’est l’effrayante disproportion entre les causes et les résultats et, partant, entre les délits et les peines. Tel crime est moins puni que la faute la plus légère, et il suffit d’une défaillance ou d’un emportement pour attirer sur une noble tête une irrémédiable disgrâce. Ces inégalités blessent notre justice ; mais elles plaisent à notre imagination, parce qu’elles donnent au gouvernement de ce monde un air d’aventure, de fantaisie, et au conflit des passions et du destin le caractère d’un jeu.

Le personnage comique est un être purement subjectif, un moi sans substance et sans valeur. Quoiqu’il ne représente rien, il attribue une importance énorme à sa personne, qui n’en a point. Ce plaisant atome disparaîtrait du monde sans y laisser le moindre vide, et il rapporte tout à lui, il se prend pour l’univers. Le héros est une volonté qui se connaît et que brise une destinée qu’elle n’a pas su voir ; le personnage comique est inconscient : c’est une insignifiance qui s’ignore, une misère qui se rengorge, un néant qui fait la roue. Il n’a pas d’autre occupation que de contenter sa passion dominante ; mais il a l’esprit si court que, toujours malheureux dans le choix de ses moyens, ses méprises finissent par lui attirer de cruels mécomptes, que personne ne plaindra. Poursuivant des fins qui n’intéressent que lui, gouverné par des penchans aveugles dont le secret lui échappe ou par une idée fausse qu’il n’a jamais discutée, c’est une marionnette mue par des ficelles qu’elle n’aperçoit pas et que nous voyons, et la seule fonction utile qu’il puisse remplir est de servir à notre divertissement.

Ce spasme, ce mouvement convulsif, cette contraction saccadée du diaphragme et des muscles faciaux que nous appelons le rire est causée par la surprise que nous ressentons en découvrant soudain un contraste frappant, une disparate, une contradiction sensible entre une apparence et une réalité, un dehors et un dedans, un résultat et une intention, un effet et une cause. Plus ce contraste nous frappe, plus le sentiment que nous en avons est subit, plus aussi notre gaîté est vive. Un mot plaisant qui nous fait rire est un propos qui donne à la raison une apparence d’absurdité ou de folie ; mais ce qui nous amuse encore plus, c’est une folie débitée ou faite de bonne foi par un maître sot qui prend sa sottise pour une raison. En vous promenant, la nuit, dans un jardin, vous croyez apercevoir un fantôme, et le cœur vous bat. Vous êtes brave, vous allez droit au prétendu fantôme ; il se trouve que c’est un drap qu’on avait étendu sur une ficelle pour le faire sécher, et vous riez de vous-même parce qu’il y a une disproportion choquante