Il faut que le travail surpasse la matière, il faut aussi que l’étoffe soit belle et par le choix et par l’apprêt. Que devient la magie du chant si la voix est sourde, maigre ou sèche, et si elle est accompagnée par des violons de village ? Tous les arts ont leurs artifices de parure, leur partie décorative. Les Grecs, que nous considérons toujours comme les maîtres du style pur et sobre, étaient aussi des maîtres dans ce style magnifique qui donne beaucoup à la joie ou à l’étonnement des sens. Nous ne pouvons juger que par conjecture de l’effet que produisaient leurs temples polychromes et leur statuaire chryséléphantine. Mais nous savons que le colossal Jupiter d’Olympie avait un manteau d’or et des yeux en pierres précieuses, que son corps était d’ivoire, que cet ivoire était peint, que le peintre Panenius avait beaucoup travaillé pour Phidias. Nous pouvons être assurés qu’un peuple si artiste joignait la discrétion du goût à l’amour de la magnificence, et que ses dieux n’ont jamais ressemblé à de fastueuses idoles. Mais il pensait que l’art est destiné à nous donner des fêtes, et qu’il n’y a pas de têtes sans décor.
La poésie est le plus spiritualiste des arts, puisque la matière même dont elle est faite est une création de l’esprit, la chair de sa chair, et que les lois du langage sont les lois mêmes de la pensée. Elle ne serait pas un art si, les mots étant formés de sons, elle n’était comme une musique parlée, suppléant au chant qui lui manque par la cadence, l’accent, la- variété des inflexions et des coupes, les mouvemens accélérés ou ralentis, les repos, les retours et les chutes, et selon qu’elle s’exprime en vers ou en prose, par la mesure ou par le nombre. Poèmes, contes et discours sont faits pour être récités, et quand on les lit, on se les récite à soi-même, car la lecture est une récitation mentale. Toute langue a sa musique, conforme à son génie, et comme, en vertu du commerce étroit et continuel qu’ont nos sens les uns avec les autres, on peut peindre avec des sons, toute langue a son coloris naturel, sa palette dont certaines teintes lui sont propres. Ce sont les grands poètes eux-mêmes qui se chargent de faire dire à cette musique tout ce qu’elle peut dire, ce sont eux qui enrichissent cette palette, en multiplient, en dégradent, en nuancent les couleurs. L’art, si différent qu’il soit de l’industrie, ne peut se passer de son secours ; les métiers lui sont nécessaires pour apprêter ses matériaux ou pour lui fabriquer ses outils. La plus belle des industries est celle qui donne à un idiome la suprême façon et l’accommode à tous les besoins de la poésie. Mais si les grands poètes des premiers âges n’y avaient mis la main, s’ils n’avaient corrigé eux-mêmes les défectuosités de leur instrument, leur parole aurait trahi leur pensée.
C’est Homère ou les homérides qui ont créé la langue composite de l’épopée grecque. Dante se demanda quelque temps s’il