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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/370

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moment de sa naissance, ce que le Census appelle : expectation of life, seraient, dans les familles israélites, de 57 ans, et dans les familles chrétiennes, américaines ou anglaises, de al ans. Un petit juif de 10 ans aurait en moyenne devant lui 50 ans d’existence, et un chrétien du même âge 37 ans seulement. En outre, contrairement aux lois habituelles de la statistique, les chances de vie, chez les juifs, seraient plus grandes pour les hommes que pour les femmes[1].

Autre fait d’un égal intérêt : le juif, d’habitude, multiplie plus rapidement que ses voisins chrétiens. C’est encore là une observation d’un caractère général ; elle comporte peu d’exceptions, et les exceptions s’expliquent par des circonstances exceptionnelles. La population juive a beau être sans cesse réduite par des conversions sincères ou des défections intéressées, presque partout, nous l’avons déjà signalé, le nombre des juifs est en augmentation, et avec le nombre des juifs, la proportion des juifs aux chrétiens. Au premier abord, on serait tenté d’attribuer cet accroissement à la fécondité juive. Israël a toujours pratiqué le : Croissez et multipliez. Cela a été une de ses grandes forces.

En Orient, dans l’est même de l’Europe, là où les lois ou coutumes rabbiniques sont demeurées en honneur, les juifs se font toujours un devoir de se marier jeunes et d’avoir de nombreux enfans. « J’ai vingt-cinq ans, et mon grand-père regarde comme un scandale que je ne sois pas encore père de famille, » me disait, il y a quelque dix ans, un juif de Kovno. D’après la tradition, les parens, pour marier leurs enfans, attendaient seulement qu’ils eussent l’âge nubile, et la casuistique talmudique était peu exigeante sur les signes de la puberté. Salomon Meimon, le petit rabbin philosophe du XVIIIe siècle, était marié, avant onze ans, à une fille du même âge, et comme, à douze ans, il n’avait pas d’enfant, sa belle-mère le soupçonnait d’avoir été noué par une sorcière. On voyait fréquemment des ménages où les deux époux ne comptaient pas trente ans, à eux deux. C’était une manière de préserver les jeunes israélites du libertinage. Ces ménages d’époux enfans, qui vivaient chez leurs parens, entretenus par eux, deviennent rares. Les difficultés de la vie, le service militaire, l’influence des mœurs modernes retardent, de plus en plus, l’âge du mariage, chez les juifs comme chez les chrétiens. Parmi les juifs d’Occident, ces unions précoces sont déjà entièrement passées d’usage. Israël, à cet égard encore, subit l’ascendant de nos exemples. Comme il lui arrive souvent, en se conformant à nos habitudes, il renchérit même

  1. Census Bulletin (no 19, 30 décembre 1890. Washington) : Vital statistics of the Jews in the United States, p. 11, 12, et diagramme de la p. 21.