l’accompagnement, le décor, qu’en disent-ils ? Le rossignol ne chante pas dans une salle de concerts. A la limpidité féerique de sa voix, ajoutez le mystère des forêts, les étoiles, la lune, des odeurs d’herbe fraîche et de résine, la renaissance des choses, leur étonnement de se sentir revivre, je ne sais quoi d’indéfinissable qui se passe entre cet oiseau qui parle et tous les êtres muets qui l’écoutent. Non, la question n’est pas de savoir s’il chante aussi bien que Mme Caron, mais si une soirée de mai où l’on entend ses trilles ne fait pas chanter l’imagination plus que toutes les symphonies du monde. Et soyez sûr que Beethoven était de mon avis, que son impuissance à rendre tout ce que le rossignol lui avait dit l’a souvent fait sécher, jaunir, qu’il a maudit son clavecin comme je maudis mes pinceaux. »
Il ajouta : « Peintres, musiciens, poètes, tous les artistes sont logés à la même enseigne ; ils font ce qu’ils peuvent, et ce qu’ils peuvent est bien peu de chose. Tenez plutôt, je lisais l’autre nuit Antoine et Cléopâtre, et tout de suite après, j’ai relu Plutarque. Bon Dieu ! quel tort l’historien ne fait-il pas au poète ! La vie humaine est si belle dans ses complications, dans ses confusions, dans l’étrangeté de ses contrastes, dans la sauvagerie de ses désordres ! La matière était trop riche pour être mise au théâtre, et Shakspeare a taillé, il a rogné, il a étranglé, il a étriqué. Le véritable Antoine avait une bien autre étoffe. La nature ne la plaint jamais ; elle n’en est pas à compter, ses magasins regorgent ; que lui en coûte-t-il d’habiller son monde ? Toutes les fois que j’ai lu un drame dont le héros était un grand personnage historique, j’ai éprouvé la même déception. Je me disais : « Non, ce n’est pas là mon homme, on ne m’en donne qu’un petit morceau ; on m’avait promis de me faire manger la bête, on ne m’en sert que les abatis. » Ce n’est pas la faute des artistes, c’est la faute de l’art et de l’insuffisance de ses moyens. Nous avons affaire à trop forte partie ; nous sommes des gueux qui veulent rivaliser avec un millionnaire, et en pareil cas, la seule ressource des gueux est la ruse. Qu’est-ce que l’artiste ? un éternel ruseur. Nous rusons sans cesse pour cacher notre misère et nos trous, pour déguiser notre indigence en richesse, nos sacrifices forcés en sacrifices volontaires. Eh ! oui, nous sommes de pauvres gens et de faux grands seigneurs. Il y a pourtant des innocens à qui nous en imposons ; tels dadais se persuadent que le petit épitome de la nature que nous leur offrons en contient la substance, la moelle, le fin du fin, qu’ils peuvent se dispenser de lire son confus et fastidieux grimoire, que nous l’avons débrouillé pour eux, en rejetant la bourre et le fatras. Nous-mêmes, nous n’en croyons rien, et quand nous nous retrouvons seul à seul avec elle, nous lui disons, le genou en terre : « Toi