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d’inspiration et de sentiment, cette harmonie dans le caractère qui est la beauté. C’est ainsi qu’un tableau représentant trois ivrognes attablés peut être un beau tableau et qu’une comédie où il se dit beaucoup de sottises, et où se commettent beaucoup de turpitudes, peut être une belle comédie ; c’est ainsi que ses monstres eux-mêmes, un grand artiste les enfante dans la beauté et que ses œuvres sont des compositions achevées et comme une image de cet ordre universel que nous pressentons, que nous devinons quelquefois, mais dont l’art seul peut nous donner la sensation.

Il lui en a coûté ; il a peiné et pâti. Il a dû se battre contre la nature qui lui disputait son sujet ; il l’a longtemps interrogée et il lui arrachait les réponses une à une. Il s’est battu plus tard contre une matière résistante, réfractaire, qu’il force à recevoir l’empreinte de sa pensée. Il ne regrette pas ses peines ; il ressent la joie des victorieux, des dompteurs. Son bonheur est pareil à celui que goûtaient les bergers d’Arcadie assez adroits pour surprendre Pan dans son sommeil, assez audacieux pour l’enchaîner et pour contraindre le dieu des mystères et des épouvantes à leur chanter un de ces airs qui réjouissent les oreilles d’un mortel, parce qu’ils lui révèlent le grand secret et que cependant on peut les faire dire à une petite flûte inégale, à d’humbles roseaux cueillis par une main inconnue sur le bord d’un étang sans gloire et peut-être sans nom.


XVII

L’art est la nature débrouillée, et il nous délivre de tout ce qui troublait la netteté de nos contemplations, de tout ce qui pouvait gêner nos sentimens, nos émotions et nos rêves. L’art est la nature concentrée, et il nous délivre des fatigues d’une attention dispersée qui avait peine à saisir le rapport des détails avec l’ensemble, le rapport de l’ensemble avec notre âme. L’art est la nature mise au service de l’imagination, et de force ou de gré, fournissant à l’homme des signes pour fixer à la fois ses images et pour les représenter comme il lui plaît de les voir. Architecture, statuaire, peinture, musique, poésie, la fin commune à tous les arts est de donner à notre sensibilité des jeux et des fêtes que rien ne dérange, que ne trouble aucun accident désagréable ou funeste. Mais nous avons diverses manières de sentir, et selon les signes figuratifs qu’il emploie, chaque art a sa façon spéciale de nous délivrer et de nous rendre heureux.

La nature est un grand architecte ; ses constructions nous imposent ou nous charment par la beauté, par la variété de leurs lignes courbes, droites, horizontales, perpendiculaires, obliques, qui,