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Ils ne croient pas que notre système d’enseignement soit parfait et qu’il soit défendu d’y rien changer. En 1880, quand ils furent appelés pour la première fois à se choisir des représentans au conseil supérieur, ils les prirent parmi ceux qui demandaient qu’on fît quelques sages modifications au régime des études et qu’on abandonnât certaines pratiques qui ne convenaient plus aux temps nouveaux. Mais on est allé beaucoup plus loin qu’ils ne le souhaitaient. Les innovations qu’ils étaient les premiers à réclamer ont été faites dans un autre esprit et avec des vues différentes : ils espéraient qu’elles fortifieraient les études littéraires, on s’en est servi pour les affaiblir. Placés au premier rang pour en constater les effets, ils ne peuvent se dissimuler qu’ils n’ont pas été favorables et que les pertes que certains enseignemens ont faites n’ont pas profité aux autres. Il leur est impossible de ne pas s’apercevoir de cette langueur qui se répand de plus en plus dans les classes ; et, si le présent ne les contente guère, ils sont encore plus inquiets de l’avenir.

Cette inquiétude, il faut le reconnaître, n’est pas sans quelque raison. Personne ne sera surpris que les discussions qui se sont élevées dans ces derniers temps entre les partisans et les adversaires de l’enseignement des langues anciennes aient fort ému nos professeurs. Ils aiment les auteurs qu’ils expliquent, ils sont attachés de tout leur cœur à ces études auxquelles ils consacrent leur vie. Aussi ont-ils beaucoup de peine à comprendre qu’on en conteste sérieusement l’utilité ; mais ce qui les étonne et les attriste plus que tout le reste, c’est de voir l’État se mettre du parti de ceux qui prétendent qu’on perd son temps quand on étudie l’antiquité et chercher à leur donner quelques satisfactions. Je me garderai bien de rentrer dans la querelle. Que pourrais-je ajouter aux argumens qui ont été donnés ici pour défendre l’enseignement classique[1] ? Tout ce que je veux faire observer, c’est qu’il n’y a encore aucun pays qui se soit laissé convaincre par les ennemis des lettres antiques et qui les ait bannies de ses écoles. Même chez les Américains du Nord, qui n’avaient guère de goût pour elles, on remarque que les Universités et les gymnases classiques se multiplient depuis quelques années et que ceux qui les fréquentent deviennent plus nombreux. Et pourtant, on comprendrait à la rigueur qu’un peuple nouveau, qu’aucun lien n’attache au passé, s’intéressât médiocrement aux langues anciennes. Il a d’ailleurs bien d’autres choses à faire ; l’agriculture, le commerce, l’industrie le réclament impérieusement. Aussi ne s’attarde-t-il pas d’ordinaire à des études trop longues : l’école l’ébauche à peine ;

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1885.