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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/613

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question de la faire tout à fait disparaître de la rhétorique, et de la déporter obscurément, en dehors des classes régulières, pendant les heures de récréation, pour ceux qui auraient le mauvais goût d’y tenir encore. C’étaient autant de sacrifices qu’on faisait pour désarmer ceux qui ont déclaré la guerre au grec et au latin ; mais on ne les a pas contentés. Ils sont exigeans, impérieux, ils reviendront à l’assaut et réclameront des concessions nouvelles ; et malheureusement rien ne prouve qu’on aura le courage de les leur refuser. L’enseignement classique sera donc encore affaibli, diminué, et qui sait s’il ne viendra pas un jour où l’on trouvera que ce qui en reste ne vaut pas la peine d’être conservé ? Certes un tel danger n’est pas à craindre avec l’administration d’aujourd’hui ; mais les ministres changent souvent chez nous. — A l’instruction publique, il s’en est succédé vingt-trois en vingt ans. — Ne pourra-t-il pas s’en trouver un, dans le nombre, plus radical, plus résolu que les autres, et qui se décide à détruire ce que ses prédécesseurs s’étaient contentés d’amoindrir ? Il est certain que le succès lui sera rendu plus facile par les dernières mesures que nous avons prises. Cet enseignement moderne que nous venons de créer, auquel nous avons accordé les mêmes privilèges qu’à l’autre, qui affecte de prendre les mêmes noms, qui est donné par des professeurs pourvus des mêmes grades, et qui se termine par un baccalauréat qui confère à peu près les mêmes droits, n’est pas seulement un rival pour l’enseignement classique, c’est un héritier tout prêt à recueillir la succession. On a tant répété qu’ils doivent être mis sur la même ligne et se valent l’un l’autre, qu’on finira par se demander s’il est utile de les conserver tous les deux. Puisqu’ils font à peu près la même chose, et avec le même succès, n’est-il pas plus simple de n’en garder qu’un ? C’est ainsi que, sans bruit, sans scandale, comme par une sorte d’évolution naturelle, l’enseignement moderne pourra se substituer un jour à l’enseignement classique.

Voilà ce que craignent, ce que prévoient, ce qu’annoncent quelques-uns de nos professeurs, et ce qui les rend des ennemis si décidés des réformes qu’on vient de faire. Pour moi, j’avoue que ces craintes me semblent exagérées et que j’ai quelque peine à imaginer de pareilles extrémités. Bien qu’il soit toujours téméraire de compter sur la sagesse des hommes, il me paraît difficile qu’on puisse de gaîté de cœur tenter une expérience devant laquelle toutes les nations ont reculé jusqu’à présent et supprimer tout à fait de l’éducation nationale ce qui, depuis tant de siècles, et dans tous les pays du monde, fait le fond de l’éducation. Mais quoiqu’il doive arriver plus tard, il y a, je crois, au moment où nous sommes, deux