Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/672

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieu, s’il existait, de se soucier des affaires des hommes, non plus que les hommes ne s’occupent de celles des fourmis ou des moucherons. Si est uliquod numen supremum, credibile est illud se rebus humanis non immiscere, nec curare quid apud nos agatur. Cela n’était pas davantage de sa perfection, ajoutaient-ils, dont le propre, étant de se suffire à elle-même, est donc aussi d’habiter éternellement en soi, sans en pouvoir sortir que pour se nier en se manifestant.

Enfin, et de tous leurs argumens, celui-ci, — qui détruisait les autres, il est vrai, mais on n’y regardait pas de si près, — est sans doute le plus ingénieux : ils soutenaient qu’il n’arrive à chacun que ce que chacun a voulu ; que la proportion est constante entre l’effort et le résultat ; et qu’heureux ou malheureux, tout homme est lui seul à lui-même l’artisan de sa destinée. Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, il n’y en avait pas moins vingt raisons pour qu’Octave vainquît au promontoire d’Actium, et que tout ce qu’il était, joint à tout ce qu’il représentait, triomphât de tout ce qu’était l’amant de l’Égyptienne. La conséquence est assez claire : si nous sommes ainsi à nous-mêmes notre Providence, que réservera-ton pour sa part à celle de Dieu ? où, quand, et comment veut-on qu’elle s’exerce ? dans quels intervalles des affaires humaines ? Il faut retenir cet argument, pour bien entendre la philosophie de Bossuet sur les « choses fortuites, » et ce que l’on pourrait appeler sa théorie du hasard.

Parcourez maintenant les sermons de sa grande époque. C’est l’expression dont on se sert pour désigner ceux qu’il a prêches de 1662 à 1670. Aussi souvent que le sujet le comporte, vous n’en trouverez pas un qui ne soit un commencement de réponse à quelqu’un de ces argumens.

Qu’essaie-t-il de prouver dans son sermon Sur l’ambition, qu’il a prêché cinq ou six fois ? Précisément ce qu’il a si bien résumé plus tard dans un endroit de sa Politique. « On a beau compasser, dira-t-il, tous ses discours et tous ses desseins, l’occasion apporte toujours je ne sais quoi d’imprévu, en sorte qu’on fait toujours plus ou moins qu’on ne pensait. Et cet endroit inconnu à l’homme dans ses propres actions et dans ses propres démarches, c’est par où Dieu agit, et le ressort qu’il remue. » Voyez encore ses sermons Pour la fête de tous les saints ou Pour le Jour de Noël. Ils célèbrent le mystère du jour ; mais, dans cette commémoration solennelle, ce qu’ils ont surtout pour objet de mettre en lumière, c’est le pacte d’amour que la bonté de Dieu, en le rachetant, a voulu conclure avec la faiblesse de l’homme. Et, tel sermon Sur les devoirs des rois ou Sur la justice, quelle en est l’idée intérieure et profonde ? C’est, comme Bossuet le dit