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Dieu a mises d’abord dans la nature ; mais ce qu’on appelle Providence, selon le langage des Écritures, c’est un gouvernement continuel qui dirige à une fin les choses qui semblent fortuites. » Et Bossuet met à la marge : « La Providence semble enfermer tout cela, mais plus particulièrement ce qui semble fortuit. » C’est là, précisément, ce qu’il est difficile à la raison d’admettre, que Dieu ait déchaîné les révolutions d’Angleterre pour sauver l’âme de Mme Henriette ! Ou plutôt, c’est ce qu’il lui serait impossible d’admettre, comme étant contradictoire, si la révélation n’était là, qui l’en assure. La conséquence est évidente. Pour établir le dogme de la Providence, il fallait commencer par mettre hors de doute l’autorité de la révélation, ou, si l’on veut, il fallait les prouver l’une par l’autre, et toutes les deux par l’histoire, en montrant que l’histoire inexplicable sans la Providence, ne s’éclaire et ne se comprend qu’à la lumière de la révélation.

C’est ce que niaient les libertins, et, en particulier, le plus illustre alors d’entre eux, ce juif d’Amsterdam « au long nez, au teint blême, » le plus logique aussi des cartésiens, Spinosa, dont le Traité théologico-politique, après avoir soulevé des orages, lors de son apparition, en 1670, venait d’être traduit et réédité jusqu’à trois fois en français, dans la même année 1678, sous le titre de : Réflexions curieuses d’un esprit désintéressé sur les matières les plus importantes au salut, tant public que particulier. Bossuet avait lu Spinosa. Le Tractatus theologico-politicus, en édition originale, (Hamburgi. 1670. Kunrath), figure au catalogue de sa bibliothèque, sous le numéro 638. J’y vois figurer également l’Éthique, — ou plutôt l’Opus posthumum, — en manuscrit, sous le numéro 666 ; et ceci est plus curieux. Car, puisque l’Éthique a paru pour la première fois en 1677, quatre ans avant le Discours de Bossuet, il fallait donc que Bossuet fût singulièrement attentif à tout ce que faisait Spinosa, pour se l’être ainsi procurée manuscrite. Mais ce qui achève de nous rendre certains qu’il connaissait bien l’auteur du Traité théologico-politique, c’est qu’à chaque instant, s’il ne le nomme pas, il le réfute, ou il lui répond, dans la seconde partie du Discours sur l’histoire universelle.

Les preuves en seraient innombrables. C’est contre Spinosa qu’il s’est efforcé d’établir « la vocation du peuple de Dieu ; » et on lit, effectivement, dans le Traité théologico-politique : « Si quelqu’un persiste à soutenir que l’élection des juifs est une élection éternelle… je n’y veux pas contredire… pourvu qu’on demeure d’accord qu’à l’égard de l’intelligence et de la vertu véritable, toutes les nations sont égales, Dieu n’ayant sur ce point aucune sorte de préférence, ni d’élection pour personne. » Spinosa dit ailleurs : « Puisqu’il est bien établi que Dieu est également bon et