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qu’ils croiront certaines, pourront se mettre au large tant qu’il leur plaira dans la supputation des Septante, que l’Église leur laisse libre, pour y placer à leur aise tous les rois qu’on donne à Ninive avec toutes les années qu’on attribue à leur règne ; toutes les dynasties des Égyptiens, en quelque sorte qu’ils les veuillent arranger ; et encore toute l’histoire de la Chine, sans même attendre, s’ils veulent, qu’elle soit plus éclaircie.


Et, en effet, pourvu que la splendeur de Babylone ou de Ninive ait été jadis éclipsée par celle de Persépolis ou d’Ecbatane ; pourvu que l’empire des Perses ait à son tour succombé sous les coups d’Alexandre, traînant après lui toute la Grèce ; et pourvu qu’enfin Rome ait hérité du pouvoir encore agrandi d’Alexandre, la philosophie de Bossuet ne subsiste-t-elle pas tout entière ? Les a époques, » ici, n’importent guère, ni la longueur de temps, mais la seule succession des faits ; — et la succession des faits est certaine. Pareillement, quelques fables que Tite-Live ait consignées dans ses Histoires, ou le bon Hérodote, c’est assez qu’aux journées de Marathon et d’Actium l’Occident ait vaincu l’Orient. « Du côté de l’Asie était Vénus, c’est-à-dire les folles amours, les plaisirs et la mollesse ; du côté de la Grèce était Junon, c’est-à-dire la gravité avec l’amour conjugal, Mercure avec l’éloquence, Jupiter et la sagesse politique… » Il n’y a qu’à lire attentivement le Discours de Bossuet pour y trouver ainsi une réponse à la plupart des objections qu’on lui a faites.

C’est comme encore quand on lui reproche de n’avoir pas fait dans la formation du dogme chrétien une part assez large à l’influence du génie grec. Mais en vain s’est-on efforcé de montrer que les philosophes de la Grèce et de Rome, bien loin de partager les superstitions du vulgaire, étaient en quelque sorte déjà chrétiens avant le Christ. « Quand Socrate fut accusé de nier les dieux que le public adorait, il s’en défendit comme d’un crime, et Platon, en parlant du Dieu qui avait formé l’univers, dit qu’il est difficile de le trouver et qu’il est défendu de le déclarer au peuple. » — On pourrait ajouter si l’on voulait s’en donner le facile plaisir, que les Scherer et les Renan n’ont pas dit autre chose. La sagesse antique, dont le principe était l’orgueil, ne se serait jamais abaissée jusqu’à l’humilité, qui est le principe de la vertu chrétienne. Les Grecs et les Romains, qui tenaient la pauvreté pour honteuse, n’auraient jamais eu l’idée d’y réduire les « huit béatitudes. » Leur société, qui reposait sur l’esclavage et sur le patriotisme local comme sur ses deux assises, ne se serait jamais élargie d’elle-même jusqu’à devenir la Jérusalem universelle des prophètes. Qu’est-ce à dire, sinon qu’en rapportant tout le christianisme au judaïsme comme à sa source Bossuet avait raison ? et que, dans une Histoire de la