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candeur ses petites négociations, ses traités de paix avec l’ennemi commun. Pendant que le prince Windischgraetz, investi du commandement suprême, s’apprêtait à bombarder la capitale de l’empire, le ministre des finances fournissait aux rebelles des subsides pour la défendre. — « Mais y pensez-vous, chère Excellence ? lui dit un jour M. de Hübner ; c’est tout simplement un crime de haute trahison. — Non, assurément non, répliquait-il avec son sourire bénin et ascétique, ces pauvres diables sont faciles à traiter, ils se contentent de doses homéopathiques. Et d’ailleurs, le peu d’argent qu’ils reçoivent de moi prend plus souvent le chemin du cabaret que de la boutique de l’armurier. » On le pressait de rester à Olmütz, on l’engageait à se souvenir du comte de Latour, il secouait la tête et s’en retournait comme il était venu, sans secrétaire, sans huissier, son gros portefeuille sous le bras. Ce Daniel semblait se plaire dans la fosse aux lions. Cosas de España ! s’écrie à ce propos M. de Hübner. Tous les pays en révolution sont des Espagnes. Le cours ordinaire des choses étant comme suspendu, les mots changent de sens, c’est Babel et la confusion des langues : le crime parle comme la vertu et la vertu ressemble quelquefois au crime. C’est alors surtout que les gens de bien qui aimeraient mieux mourir que de manquer à leur devoir ont plus de peine à le découvrir qu’à le faire.

Il semblait que c’en fût fait de l’Autriche. Si déplorable que soit la situation d’un pays, rien n’est perdu quand il a des hommes ; c’est un bonheur qui peut tenir lieu des autres et qu’aucun autre ne remplace. Le prince Félix de Schwarzenberg disait : « La monarchie a été sauvée par trois soldats indisciplinés. » Le maréchal Radetsky, lorsqu’il était à Vérone et avant ses victoires, avait résisté ouvertement à la cour d’Innsbruck, qui lui commandait de céder la Lombardie. Le prince Windischgraetz, prévoyant une insurrection à Prague, avait refusé de se dessaisir d’une partie de l’armée de Bohême. Jellachich, ban de Croatie, traité de traître par l’empereur Ferdinand et dépouillé de tous ses emplois, de tous ses honneurs, avait déclaré qu’il tenait cette destitution pour nulle et non avenue, et l’empereur s’en était bien trouvé. Mais les épées ne suffisaient pas, il fallait à l’Autriche un homme d’état, et c’est l’oiseau rare. Les intelligences les plus vives sont souvent les plus irrésolues et les plus timides. L’Autriche trouva dans le prince de Schwarzenberg un de ces hommes d’État qui voient très clair et n’ont peur de rien. Ils sont le contraire de ces capitani qui chevauchent à côté de la voiture pour pouvoir fuir en cas de besoin ; ce n’est pas ainsi qu’ils l’entendent, et, si elle verse, ils rouleront avec elle dans le fossé.

— « L’entourage de la famille impériale, écrivait M. de Hühner dès le 14 août 1848, se compose de personnalités fort estimables, de