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ressemble à une menace ou à un défi : tout a été correct dans les discours. L’inconvénient de ces démonstrations néanmoins est toujours d’exciter les esprits, de mettre les imaginations en effervescence, de laisser flotter devant l’Europe des mirages d’alliances qui dépendent certainement en grande partie d’événemens encore inconnus, — et que chacun, ce jour-là, aurait le soin de mesurer à ses intérêts.

Après toutes les interprétations, tous les commentaires sur ce mouvement de visites princières dont l’Angleterre vient d’avoir sa part, même après tous les dialogues incessamment renouvelés à la chambre des communes, on n’est peut-être pas plus avancé. On pourrait seulement distinguer dans le monde anglais l’intention de ne pas laisser l’opinion s’égarer dans les conjectures, de décourager les polémiques sur la triple alliance, sur les engagemens de l’Angleterre, de ramener l’attention sur les affaires intérieures du jour. Tandis que sir James Fergusson s’épuise à Westminster en explications qui n’expliquent rien, M. Balfour fait retentir le parc de Hatfield de ses harangues à demi humoristiques sur l’Irlande, sur la nécessité de s’entendre plus que jamais entre conservateurs tt unionistes pour pacifier l’éternelle révoltée. Lord Salisbury lui-même, dans les libres réunions où il est convié, évite le plus qu’il peut de toucher aux affaires étrangères ; il n’y fait en passant quelque allusion que pour cribler de son ironie M. Labouchère, l’interpellateur obstiné, « qui connaît l’existence au foreign office de documens dont le foreign office n’a jamais entendu-parler, qui sait des actes de lord Salisbury que celui-ci n’a jamais accomplis même en rêve… » Lord Salisbury n’a point de secrets diplomatiques, c’est tout au plus s’il connaît la triple alliance, il l’assure ; il est tout entier à d’autres affaires, surtout, à ce qu’il semble, au soin de préparer la durée de son ministère, et son dernier discours au banquet de l’United club est certes un des plus curieux qu’il ait prononcés depuis longtemps. C’est tout un programme de réforme électorale fait pour distraire ou occuper l’opinion en attendant le scrutin qui renouvellera le parlement et qui ne s’ouvrira pas avant un an.

Évidemment lord Salisbury a entendu parler, sinon des secrets diplomatiques qu’il assure ne pas connaître, du moins des élections partielles qui se succèdent autour de lui, qui sont autant de menaces pour le parti conservateur anglais. Ces jours derniers encore, il a pu voir une élection nouvelle qui a été un succès de plus pour ses adversaires. Il ne peut se dissimuler que le courant de l’opinion va ou revient de plus en plus vers M. Gladstone, et que si rien ne vient l’interrompre, les élections prochaines peuvent être une victoire libérale. C’est précisément pour détourner ou déconcerter ce mouvement, qu’il a conçu sa réforme électorale. Lord Salisbury est de l’école de lord Beaconsfield, il aime à étonner ; il ne recule pas devant les conceptions hardies ou subtiles. Son projet est certes ingénieusement combiné.