Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/753

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et Terburg à Léonard. Il lit quelquefois aussi l’Évangile, et il a sans cesse à la bouche ce verset : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon père. »

Combien d’artistes ne pourrait-on pas nommer qui, pour magnifier des sujets pris dans la vie commune, ont emprunté à l’idéalisme ses procédés et ses moyens ! Sophocle a représenté de grands cœurs soumis à de grandes épreuves, et Aristophane des drôles ou des imbéciles aux prises avec de grotesques accidens ; Racine a sculpté dans le plus beau marbre de Carrare des statues de princes et de princesses, Molière a peint comme personne des hommes changés en machines, La Fontaine a transformé des lions et des loups en héros d’épopée. Ils ont tous employé la même méthode, ils ont eu tous le secret de cette simplicité qui agrandit les objets.

Que dirons-nous de certains maîtres espagnols, qu’il est plus facile d’admirer que de classer ? Ils possédaient au même degré la grandeur du sentiment et le don des heureuses familiarités. Voici le portrait d’une jeune infante. C’est la princesse qui épousera Louis XIV, et dont Bossuet dira un jour que l’éclatante blancheur qui paraissait sur son visage, la mort « l’a fait passer au dedans, » en la rehaussant d’une lumière céleste. Velasquez, l’homme du monde qui sut le mieux faire chanter les gris et les roses, n’a pas attendu qu’elle fût morte pour la revêtir de cette lumière céleste, et pourtant qu’elle est vivante ! qu’elle est réelle et qu’elle est jeune ! Ce même Velasquez nous montre trois vieilles femmes qui filent, et nous avons peine à savoir si ce sont des Parques déguisées en bourgeoises ou des bourgeoises dignes de s’appeler Clolho, Lachésis et Atropos. Un autre peintre, dont on a dit qu’il avait trois manières, la froide, la chaude et la vaporeuse, et que quelquefois il les employait toutes dans le même tableau, nous fait voir des anges qui, rompus aux ouvrages terrestres et ne méprisant rien, se disposent à éplucher des légumes, pilent du grain dans un mortier, écument une marmite. Ces marmitons ailés sont charmans ; mais nous admirons davantage ce mendiant accroupi, qui se pouille. Il a près de lui une cruche, un panier de fruits, et l’univers lui appartient. Son visage est « confit en mépris des choses fortuites ; » si sa gueuserie andalouse, mêlée de fierté castillane, accepte les aumônes, elle refuse les conseils ; il semble vraiment que le soleil n’ait pas d’occupation plus noble que d’éclairer ses glorieux haillons et sa félicité, qui n’est qu’une indigence sans besoins.

Telle fut l’Espagne dans sa peinture, telle fut aussi sa poésie. Par la sobriété presque austère des descriptions, par la savante économie du détail, par la franchise, par l’étonnante largeur de la touche, Don Quichotte est un incomparable chef-d’œuvre de