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guerre de campagne, en Orient. Le feu grégeois était fondé sur la découverte d’un principe nouveau, l’association d’un comburant, le salpêtre, avec les substances combustibles, connues depuis les temps les plus reculés : de même que ces substances, on le lançait avec les anciennes machines balistiques. Mais l’emploi même du feu grégeois a conduit, par une lente évolution, à faire une découverte plus décisive encore, celle de l’explosion et de la force projective de la poudre, propriétés inconnues des anciens et qui ont transformé complètement les machines et l’art même de la guerre.

Il m’a semblé d’autant plus opportun d’exposer cette histoire et la filiation des idées et des découvertes relatives aux premières matières explosives, qu’il règne à cet égard, parmi les historiens et les érudits, des préjugés invétérés et extrêmement tenaces, on ce qui touche le feu grégeois en particulier. Malgré les travaux de L. Lalanne et de Reinaud et Favé, on continue à répéter aveuglément les contes et les exagérations des Byzantins sur les effets prétendus de cette substance. C’est une opinion presque universelle que la composition du feu grégeois a été perdue, et l’on a créé à cet » égard une légende, sans cesse reproduite. Il n’en est rien cependant : les formules tenues secrètes pendant quatre siècles par les Grecs du Bas-Empire ont été révélées par des auteurs arabes, qui écrivaient au temps des croisades, et elles n’ont pas cessé d’être reproduites depuis, dans les traités manuscrits et imprimés de pyrotechnie, depuis Marcus Græcus jusqu’à Blaise de Vigenère : elles étaient parfaitement connues au commencement du XVIIIe siècle, époque à laquelle les progrès de l’artillerie moderne firent tomber en désuétude des pratiques surannées et d’une efficacité désormais secondaire. Quelques-unes de celles-ci ont été cependant perpétuées presque sans changement dans la fabrication de notre roche à feu et des artifices incendiaires analogues. Ce sont là des faits, je le répète, aujourd’hui éclaircis pour les gens compétens ; mais il est difficile de dissiper les opinions vulgaires, entretenues par l’amour du merveilleux.

J’espère y parvenir pour les personnes qui liront cet article, que l’examen des auteurs anciens, l’étude de deux manuscrits à figures du moyen âge et la connaissance de la chimie m’ont permis d’appuyer sur des faits et des preuves jusqu’ici peu connus.


I. — DES MATIÈRES ET PROJECTILES INCENDIAIRES DANS L’ANTIQUITÉ.

L’emploi du feu dans la guerre est sans doute aussi ancien que la connaissance du feu lui-même ; dès les temps préhistoriques, on