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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 106.djvu/793

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parle également de l’emploi de la poix et du soufre par les assiégés, de leurs brûlots, chargés de fascines, et de marmites suspendues, remplies de produits combustibles ; il décrit les machines de guerre brûlées par eux, les tours de bois des assiégeans, recouvertes de cuir et de peau pour que les traits enflammés lancés des murailles ne puissent les détruire, etc.

Toute une légende, qui est parvenue jusqu’au moyen âge, s’était créée autour de ce siège de Tyr et du rôle que le feu y avait joué. Les uns prétendaient qu’Alexandre avait inventé une composition incendiaire, composition qui, lancée par un mangonneau, mit le feu à la ville de Tyr. D’après d’autres textes latins du moyen âge, il s’en serait servi pour brûler la ville des Samaritains, certains disent des Agaréniens, et leur terre elle-même. Écho lointain et défiguré de ces terribles sièges de Tyr et de Gaza ! Aristote était réputé l’auteur de cette invention : il avait, disait-on, imaginé un feu qui brûlait pendant neuf ans.

Les mêmes procédés d’attaque et de défense des places se perpétuent pendant le moyen âge. Abbon, dans le poème où il décrit le siège de Paris par les Normands, en l’an 887 (I, 100), raconte comment on projetait contre les mineurs un mélange brûlant d’huile, de cire et de poix :


Addit eis oleum ceramque picemque ministrans
Mixta simul, liquefacta foco, ferventia valde.


Il décrit aussi l’incendie de la porte d’une tour de défense de Paris et l’envoi d’un brûlot sur le fleuve par les Normands.

Au siège de Jérusalem par les Croisés (1099), et plus tard au siège de Saint-Jean-d’Acre (1191), on recourut, d’après les chroniqueurs, à des projectiles et à des méthodes incendiaires plus ou moins perfectionnés, mais toujours dérivés de la tradition poliorcétique des anciens.

Entrons dans quelques détails circonstanciés sur les objets divers que l’on se proposait d’atteindre par l’emploi du feu ; sur la nature des matières mises en œuvre, sur les procédés usités pour les éteindre ; enfin, sur les projectiles eux-mêmes. Ces renseignemens, outre l’intérêt historique qu’ils présentent en soi, sont nécessaires pour bien comprendre les révolutions successives produites dans l’art de la guerre et dans les relations internationales, par l’invention du feu grégeois et par celle de la poudre à canon.

On employa d’abord le feu dans les sièges, d’une façon à peu près exclusive : il était mis en œuvre d’un côté, par les assiégeans,